Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

» Cet obstacle répandit une consternation qui ne peut jamais être exprimée. L’air retentissait de gémissemens et de cris. On se remit à jeter de l’eau, et l’embrasement parut diminuer. Mais peu de temps après le feu prit aux huiles. Ce fut alors que nous crûmes notre perte inévitable. Plus on jetait d’eau, plus l’incendie paraissait augmenter. L’huile et la flamme qui en sortaient se répandaient de toutes parts. Dans cet affreux état, on poussait des cris et des hurlemens si terribles, que mes cheveux se hérissaient, et je me sentais tout couvert d’une sueur froide.

» Cependant le travail continuait avec la même ardeur. On jetait de l’eau dans le navire, et les poudres à la mer. On avait déjà jeté soixante demi-barils de poudre ; mais il en restait encore près de trois cents. Le feu y prit, et fit sauter le vaisseau, qui, dans un instant, fut brisé en mille et mille pièces. Nous y étions encore au nombre de cent dix-neuf. Je me trouvais alors sur le pont, près de l’amure de la grande voile, et j’avais devant les yeux soixante-trois hommes qui puisaient de l’eau. Ils furent emportés avec la vitesse d’un éclair ; et ils disparurent tellement, qu’on n’aurait pu dire ce qu’ils étaient devenus : tous les autres eurent le même sort.

» Pour moi, qui m’attendais à périr comme tous mes compagnons, j’étendis les bras et les mains vers le ciel, et je m’écriai : « Ô Seigneur ! faites-moi miséricorde ! » Quoiqu’en