Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me trompais, disaient-ils, et qui portais le cap à la mer au lieu de courir sur les terres. La faim devenait fort pressante, lorsque le ciel permit qu’une troupe de mouettes vint voltiger sur la chaloupe avec tant de lenteur qu’elles paraissaient chercher à se faire prendre. Elles se baissaient à la portée de nos mains, et chacun en prit facilement quelques-unes. On les pluma aussitôt pour les manger crues. Cette chair nous parut délicieuse, et j’avoue que je n’ai jamais trouvé tant de douceur au miel même. Mais c’était un seul repas qui suffisait à peine pour conserver la vie. Nous passâmes encore le reste du jour sans avoir la vue d’aucune terre. Nos gens étaient si consternés, que, le canot s’étant approché de nous, et ceux qui s’y trouvaient nous conjurant encore de les prendre, on conclut que, puisque la mort était inévitable, il fallait mourir tous ensemble. On les reçut donc, et l’on tira du canot toutes les rames et les voiles.

» Il y eut alors dans la chaloupe trente rames, que nous rangeâmes sur les bancs en forme de couverte ou de pont. On avait aussi une grande voile, une misaine, un artimon et une civadière. La chaloupe avait tant de creux, qu’un homme pouvait se tenir assis sous le couvert des rames. Je partageai notre troupe en deux parties, dont l’une se tenait sous le couvert, tandis que l’autre était dessus, et l’on relevait tour à tour. Nous étions soixante-douze, qui jetions les uns sur les autres des