Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/155

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carriere, il ſuffit, ce me ſemble, d’expoſer toutes les cauſes qui nous donnent une agréable circulation, et par elle, d’heureuſes perceptions. Elles ſont internes & externes, ou intrinſeques & acceſſoires.

Les cauſes internes ou intrinſeques, qui paſſent pour dépendre de nous, n’en dépendent point. Elles appartiennent à l’organiſation & à l’éducation, qui a, pour ainſi dire, plié notre ame, ou mortifié nos organes. Les autres viennent de la volupté, des richeſſes, des ſciences, des dignités, de la réputation, &c.

Le bonheur qui dépend de l’organiſation eſt le plus confiant & le plus difficile à ébranler ; il a beſoin de peu d’alimens, c’eſt le plus beau préſent de la nature. Le malheur qui vient de la même ſource eſt ſans remede, ſi ce n’eſt quelques palliatifs fort incertains.

Le bonheur de l’éducation conſiſte à ſuivre les ſentimens qu’elle nous a inspirés, & qui s’effacent à peine. L’ame s’y laiſſe entraîner avec plaiſir ; la pente eſt douce, & le chemin bien frayé ; il lui eſt violent d’y réſiſter ; cependant ſon chef-d’œuvre eſt de vaincre cette pente, de diſſiper les préjugés de l’enfance, & d’épurer l’ame au flambeau de la raiſon. Tel eſt le bonheur réſervé aux philosophes.