Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/160

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ſurprenantes métamorphoſes ; elle change l’homme d’eſprit en ſot qui n’en releve jamais, & éleve le ſot à la qualité d’immortel génie. Rien n’eſt bizarre four la nature ; c’eſt nous qui le ſommes de l’en accuſer.

Rien ne prouve mieux qu’il eſt un bonheur de tempérament, que tous ces heureux imbécilles que chacun connoît, tandis que tant de gens d’eſprit ſont malheureux. Il ſemble que l’eſprit donne la torture au ſentiment. De plus, les animaux viennent à l’appui de ce ſyſtême. Lorſqu’ils ſont en bonne ſanté, & que leurs appétits fſont ſatisfaits, ils goûtent le ſentiment agréable attaché à cette ſatisfaction, & par conſéquent cette eſpece eſt heureuſe à ſa manière. Séneque le nie en vain. Il ſe fonde ſur ce qu’ils n’ont pas la connoiſſance intellectuelle du bonheur, comme ſi les idées métaphyſiques influoient ſur le bien-être, & que la réflexion lui fût néceſſaire. Combien d’hommes ſtupides, qu’on ſoupçonne moins de réfléchir qu’un animal, parfaitement heureux ! La réflexion augmente le ſentiment, mais elle ne le donne pas plus que la volupté ne fait naître le plaiſir. Hélas ! doit-on s’applaudir de cette faculté ? Elle vient tous les jours, & s’exerce pour ainſi dire ſi à contre-ſens, qu’elle écraſe le ſentiment & déchire tout. Je ſais que, lorſqu’on eſt heureux par elle ; & qu’elle ſe trouve, comme dans le droit de fil des ſenſations, on l’eſt