Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/161

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davantage ; le ſentiment eſt excite par cette ſorte d’aiguillon : mais en fait de malheur, pris dans mon ſens ordinaire, quel droit plus cruel & plus funeſte ! C’eſt le poiſon de la vie. La réflexion eſt ſouvent preſque un remord. Au contraire, un homme que ſon inſtinct rend content, l’eſt toujours, ſans ſavoir ni comment, ni pourquoi, & il l’eſt à peu de frais. Il n’en a pas plus coûté pour faire cette machine, que celle d’un animal : tandis qu’il y en a une infinité d’autres, pour la félicité deſquelles la fortune, la renommée, l’amour & la nature ſe ſont en vain épuiſees ; malheureuſes à grands frais, parce qu’elles ſont inquietes, impatientes, avares, jalouſes, orgueilleuſes, eſclaves de mille paſſions : on diroit, ou que le ſentiment ne leur a été donné que pour les vexer, ou que leur génie ne leur eſt venu que pour tourmenter & dépraver leur ſentiment Confirmons notre idée par de nouvelles preuves.

Certains remedes ne ſont-ils pas encore une preuve de ce bonheur que j’appelle organique, automatique ou naturel, parce que l’ame n’y entre pour rien, & qu’elle n’en tire aucun mérite, en ce qu’il eſt indépendant de ſa volonté. Je veux parler de ces états doux & tranquilles que donne l’opium, dans leſquels on voudroit demeurer toute une éternité, vrai paradis de l’ame, s’ils étoient permanens ; états bienheureux, qui n’ont cependant