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Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/162

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d’autre origine que la paiſible égalité de la circulation, & une détente douce & à moitié paralytique des fibres ſolides. Quelle merveille opere un ſeul grain de ſuc narcotique, ajouté au ſang, & coulant avec lui dans les vaiſſeaux ! Par quelle magie nous communique-t-il plus de bonheur que tous les traités des philoſophes ? Et quel ſeroit le fort d’un homme qui ſeroit organiſé toute ſa vie, comme il l’eſt, tant que ce divin remede agit ! qu’il ſeroit heureux !

Les rêves, qui n’ont pas beſoin d’opium pour être ſouvent fort agréables, confirment la même choſe. Comme un objet aimé ſe peint mieux abſent que préſent, parce que la réalité offre à l’imagination des bornes quelle ne connoît plus, lorſqu’elle eſt abandonnée à elle-même, pour la même raiſon les peintures ſont plus vives, quand on dort, que quand on veille. L’ame que rien ne diſtrait alors, toute livrée au tumulte interne des ſens, goûte mieux, & à plus longs, traits, des plaiſirs qui la pénetrent. Réciproquement elle eſt auſſi plus alarmée & plus effrayée par les ſpectres qui ſe forment la nuit dans le cerveau, & qui ne ſont jamais ſi affreux, lorſqu’on veille, parce que les objets du dehors les ont bientôt écartés : ſonges noirs, auxquels ſont principalement ſujets ceux qui s’accoutument durant le jour à n’avoir que des idées triſtes lugubres ou ſiniſtres, au lieu de les chaſſer, autant