Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus ou moins ouverts ou éveillés, livrent mon ſentiment à leur chaos d’idées, ſans l’étouffer, & donnent, pour ainſi dire, à mon ame, la comédie ou la tragédie, les ſenſations de volupté ou de douleur.

Mais la veille même eſt-elle bien certainement autre choſe qu’un rêve moins confus & mieux arrangé, en ce qu’il eſt plus conforme à la nature & à l’ordre des premières idées qu’on a reçues ? La raiſon de l’homme pourroit-elle bien ne pas toujours rêver, elle qui nous trompe ſi ſouvent, & qui n’eſt pas même maitreſſe, comme dit Montagne, de faire vouloir à ſa volonté ce qu’elle voudroit.

Si tant de rêves, comme on n’en peut douter, lorſqu’on a quelque connoiſſance de l’économie animale, ſont des veilles imparfaites, ſans contredit il y a une infinité de veilles qui ne font que des ſonges incomplets. On réfléchit ſouvent, endormi comme éveillé, & quelquefois mieux. Il y a des ſots qui ont beaucoup d’eſprit en rêve ; le prédicateur déclame, le poëte fait des vers, Morphée vaut un Apollon. Tel eſt le pouvoir de l’habitude de penſer. Mais dans la veille encore, on ſe ſurprend ſans ceſſe ſi bien rêvant, que, ſi cet état duroit un ſiecle ; c’eſt un ſiecle qu’on auroit paſſé à n’imaginer rien. Nous reſſemblons à ces chiens qui n’écoutent, que lorſqu’ils dreſſent les oreilles.