Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais qui a trouvé le bonheur, ne l’a point cherché. On ne cherche point ce qu’on a, & ſi on ne l’a point, on ne l’aura jamais. La philoſophie ſait ſonner bien haut des avantages qu’elle doit à la nature. Séneque étoit malheureux, en écrivant même ſur le bonheur. Il eſt vrai qu’il étoit Stoïcien : & un Stoïcien n’a pas plus de ſentiment qu’un lépreux.

Autre conſéquence de tout ce qui a été dit : l’eſprit, le lavoir, la raiſon ſont le plus ſouvent inutiles à la félicité, & quelquefois funeſtes & meurtriers ; ce ſont des ornemens étrangers, dont l’ame peut ſe paſſer, & elle me paroît toute conſolée de ne les point avoir dans la plupart des hommes qui ſouvent les mépriſent & les dédaignent ; contens du plaiſir de ſentir, ils ne ſe tourmentent point au fatigant métier de penſer. Le bonheur ſemble tout vivifié, tout conſommé par le ſentiment. La nature en donnant par-là à tous les hommes le même droit, la même prétention à la béatitude, les attache tous à la vie & leur fait chérir leur exiſtence.

Eſt-ce à dire qu’il n’y a abſolument point à compter ſur la raiſon, & que (ſi le bonheur dépend de la vérité) nous courrons tous par divers chemins après une félicité imaginaire, comme un malade après des mouches ou des papillons ? Non, rien moins que cela ; ſi la raiſon nous trompe, c’eſt