Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lié l’idée de généroſité, de grandeur, d’humanité aux actions importantes au commerce des hommes ; on a donné de l’eſtime & de la conſidération à qui ne nuiroit jamais, quelque bien qui lui en pût arriver ; du reſpect, des honneurs & de la gloire à qui ſerviroit la patrie, l’amitié, l’amour ou l’humanité, même à ſes propres dépens ; & par ces aiguillons, tant d’animaux à figure humaine font devenus héros. Loin d’abandonner les hommes à leur propre nature, hélas ! trop ſtérile pour leur faire porter du fruit, il a fallu les élever & les greffer en quelque ſorte dans le temps que la ſève pouvoit le mieux paſſer dans la branche qu’on leur entoit.

On voit que je ne me laſſe point de revenir l’éducation, qui ſeule peut nous donner des ſentimens & un bonheur contraires à ceux que nous aurions eus ſans elle. Tel est l’effet de la modification ou du changement qu’elle procure à notre inſtinct ou à notre façon de ſentir. L’ame inſtruite ne veut, ne ſuit, ne fait plus ce qu’elle faiſoit auparavant, lorſqu’elle n’étoit guidée que par elle. Eclairée par mille ſenſations nouvelles, elle trouve mauvais ce qu’elle trouvoit bon, elle loue en autrui ce qu’elle y blâmoit. Vraies girouettes, nous tournons donc ſans-ceſſe au vent de l’éducation, & nous retournons enſuite à notre premier point, quand nos organes remis à leur ton naturel, nous rappellent