Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/197

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forcées de deſirer la mort, & leurs amis l’implorer pour eux. La triſte deſtinée du grand Boerhaave en fait foi. Lorſque la vie eſt abſolument ſans aucun bien, & qu’au contraire elle eſt aſſiégée d’une foule de maux terribles, faut-il attendre une mort ignominieuſe ?

Je ne prétends pas dire qu’on ne doive pas ſupporter la pauvreté & la douleur ; il faut ſe plier à la dureté des temps. Tous ces momens de courage (ou plutôt de fureur) tant vantés, ne viennent ſouvent que pour diſpenſer un lâche d’en avoir toute ſa vie. Sophiſme captieux, enthouſiaſme poëtique, petite grandeur d’ame, tout ce qui a été dit en faveur du ſuicide !

Voilà certes un grand courage & une ame bien ſorte dans les revers, qui ne peut ſupporter la pauvreté ! Et comment ſe peut-il que ceux qui ont montré tant de vigueur dans le ſein des richeſſes, la perdent dans celui de la miſere ? Et ſur-tout que tel qui s’étoit élevé il n’y a qu’un moment au-deſſus de l’humanité, pour qui la douleur & la pauvreté n’étoient point un mal, ne ſe ſouvenant plus de ſon ſyſtême, conſeille le ſuicide ! « Tu pleures, dit mon Stoïcien, parce que le pain te manque ! & que t’importe, puiſque les moyens de mourir ne te manquent pas ? pour un moyen de venir au monde, la nature, qui ne retient perſonne, t’en offre cent d’en ſortir ».