Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/213

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vouer tout entiers à des choſes ingrates (& qui le ſont encore mieux queux) ; ils regardent les livres dont ils ſont entourés, comme leurs plus cruels ennemis. Enfin quelle multitude innombrable d’heureux ignorans dont nous avons parlé, qui, s’ils n’ont point d’honneur, ou le plaiſir d’acquérir de belles connoiſſances, & le goût de l’eſprit, qui plus eſt, s’en vengent par le mépris, & ne croient pas valoir moins (tant s’en faut), parce qu’avec leur inſtinct ils ont fait fortune, tandis que les autres ont été conduits par l’eſprit au précipice.

Concluons donc que ceux qui, comme Cicéron, Pline le jeune, l’auteur que j’ai nommé, &c. ont mis le bonheur, ſoit dans la volupté de l’eſprit, ſoit dans la gloire qui marche à la ſuite des beaux arts, ont donné dans l’exagération & l’enthouſiaſme de leur goût, & ont ainſi fait deux fautes dans une ; car non-ſeulement ils ont, contre toute logique, étendu & généraliſé ce qui eſt borné & particulier, j’entends le plaiſir de l’étude ; mais ils ont à la fois borné ce qui a été ſi univerſellement accordé à toutes les créatures animées par l’adorable auteur qui les a faites, je veux dire la faculté d’être heureux, & de l’être chacun à ſa manière & à ſa fantaiſie. Trahit ſua quemque voluptas. Placer en général la félicité dans la culture des lettres, pour le plaiſir qu’on en retire,