Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/214

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c’eſt négliger les biens du monde & ſe moquer de la nature. Attacher le bonheur au char de la gloire & de la renommée, c’eſt le mettre, comme un enfant, dans un joujou, ou dans le bruit que fait une trompette.

Montrons le reſte du tableau, & tirons tout-à-fait le rideau, derriere lequel eſt caché Séneque.

Tant de gens font heureux ſans richeſſes & ſans volupté, ainſi que ſans ſcience & ſans réputation & ſur-tout dans le ſein d’une obſcure & tranquille médiocrité, qu’en plaçant ſi loin du bonheur, des biens que d’autres en ont mis ſi près, j’ai cru leur faire encore plus d’honneur qu’ils ne méritent.

Examinons donc la nouvelle corde qui ſe trouve à notre arc, ſans nous laiſſer plus ſéduire par ſa belle couleur d’or, que par toutes les bouches flatteuſes de la renommée. Mais comme nous ſommes ſenſibles à l’avantage d’être eſtimés, ſans cependant vouloir déſormais ſacrifier notre tranquillité au plaiſir de faire un vain bruit, ne ſoyons point auſſi dupes de l’opinion de ceux qui ne font point aſſez de cas du plus puiſſant des dieux. Quel animal farouche ſeroit donc la vertu, ou la philoſophie, ſi l’or ne l’apprivoiſoit ; ſi la pluie de Jupiter n’amolliſſoit ſa dureté ? Auſſi Séneque, cet ennemi déclaré de ce qu’il aimoit tant, convient--