Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/221

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fleur, que de permettre de la flairer : mais faut-il en reſpirer ſi négligemment la délicieuſe odeur ? S’il eſt dans la volupté, comme dans toutes les plantes, une quinteſſence, ou comme dit Boerhaave, un eſprit recteur, en prendre la fleur, la ſentir avec nonchalance, ce n’eſt pas le moyen de goûter cet eſprit raviſſant. Le dédaigner, n’eſt-ce point une indolence coupable ? N’y a-t-il point une ſorte d’inhumanité à laiſſer flétrir, qui pis eſt, une roſe mieux employée à notre uſage ? Laiſſons cette indifférence ſtoïque ; les bienfaits de la nature méritent des tranſports de tendreſſe & de reconnoiſſance que nos ingrats lui refuſent.

Je ne prétends pas faire conſiſter le bonheur dans la volupté ; car, quoique j’aye autrefois fait couler de ma plume toute l’ivreſſe qu’elle avoit répandue dans mes ſens, me dégageant aujourd’hui des piéges de la Syrene, je ſouſcris (par tempérament peut-être) à plus de modération, & veux que le beſoin ſeul, ce père du plaiſir, l’appelle déſormais, & ſonne, pour ainſi m’exprimer, l’heure de ma volupté. Mais ſi les plaiſirs des ſens ſont eſſentiellement trop courts & trop peu fréquens pour conſtituer un état auſſi permanent que la félicité, regardons-les du moins comme des éclairs de bonheur, qui ne peuvent manquer, ſans rendre les joies de la vie imparfaites & tronquées, & ſans laiſſer tant de petites plaies, dont le cœur eſt fou-