Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/225

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d’autant plus celles qui ne le ſont pas. Ceux-là, direz-vous, ne ſont capables que de goûter la volupté, & de ſe ménager les délices d’un doux prurit. Eh bien ! en ſont-ils moins heureux ? Ne ſuivent-ils pas cet inſtinct & ce goût, par lequel chaque animal tend à ſon bien-être ? N’ont-ils pas enfin la ſeule ſorte de félicité qui ſoit réellement à la portée de leurs organes ?

Il en eſt de même de tous les méchans. Ils peuvent être heureux, s’ils peuvent être méchans ſans remords. J’oſe dire plus ; celui qui n’aura point de remords, dans une telle familiarité avec le crime, que les vices ſoient pour lui des vertus, ſera plus heureux que tel autre, qui, après une belle action, ſe repentira de l’avoir faite, & par-là en perdra tout le prix. Tel eſt le merveilleux empire dune tranquillité que rien ne peut troubler.

Ô toi ! qu’on appelle communément malheureux, & qui l’eſt en effet vis-à-vis de la ſociété, devant toi-même, tu peux donc être tranquille. Tu n’as qu’à étouffer les remords par la réflexion (ſi elle en a la force), ou par des habitudes contraires, beaucoup plus puiſſantes. Si tu euſſes été élevé ſans les idées qui en font la baſe, tu n’aurois point eu ces ennemis à combattre. Ce n’eſt pas tout, il faut que tu mépriſes la vie autant que l’eſtime ou la haine publique. Alors en effet, je le ſoutiens, parricide, inceſtueux, voleur, ſcélérat, infame,