Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

philoſophe. Comme tel, je vois que Cartouche était fait pour être Cartouche, comme Pyrrhus pour être Pyrrhus : je vois que l’un étoit fait pour voler & tuer à force cachée, & l’autre à force ouverte. Les conſeils ſont inutiles à qui eſt né avec la ſoif du carnage & du ſang. On pourra bien les écouter, & même les applaudir, mais non les ſuivre. Voilà ce que me dicte la philoſophie. L’amour du public me dicte autre choſe. Je déplore le ſort de l’humanité, d’être, pour ainſi dire, en d’auſſi mauvaiſes mains que les ſiennes. Je fuis fâché de croire tout ce que je dis ; mais je ne me repens point de dire ce que je crois. Au travers de ce qui me ſemble révolter au premier coup-d’œil, les gens qui ne font pas ſans odorat, pénétrant l’écorce, trouveront que ma philoſophie ne s’éleve point ſur les débris de la ſociété. Je ne puis trop inſiſter ſur cet article. Qu’on y prenne bien garde, & qu’on diſtingue en même temps l’homme de l’auteur. Je n’enhardis point les méchans, je les plains par humanité, & je les tranquilliſe par raiſon. Si je les ſoulage d’un peſant fardeau, je ne reconnois pas moins qu’ils en ſont eux-mêmes un bien plus onéreux pour la ſociété. Elle a ſes coutumes & ſes loix, & ſes armes, quand on les a bleſſées ; je ne ſuis point ici ſon vengeur, ni ſon appui. Thémis ne m’a point remis ſa balance, elle ne m’a point chargé de péſer les vices & les vertus, les peines