Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/44

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vie… Mais non ; vous me ſerez inutiles ; je n’aurai beſoin ni de m’aguerrir, ni de me diſſiper, ni de m’étourdir. Les yeux voilés, je me précipiterai dans ce fleuve de l’éternel oubli, qui engloutit tout ſans retour. La faulx de la Parque ne ſera pas plutôt levée, que déboutonnant moi-même mon cou, je ſerai prêt à recevoir le coup.

LXVII.

La faulx ! Chimere poétique ! La mort n’eſt point armée d’un inſtrument tranchant. On diroit (autant que j’en ai pu juger par ſes plus intimes approches) qu’elle ne ſait que paſſer au cou des mourans un nœud coulant, qui ſerre moins, qu’il n’agit avec une douceur narcotique : c’eſt l’opium de la mort ; tout le ſang en eſt enivré, les ſens s’émouſſent : on ſe ſent mourir, comme on ſe ſent dormir, ou tomber en foibleſſe, non sans quelque volupté.

LXVIII.

Combien tranquille en effet, combien douce eſt une mort qui vient comme pas à pas, qui ne ſurprend, ni ne bleſſe ! Une mort prévue, où l’on n’a que le ſentiment qu’il faut avoir, pour en jouir ! Je ne ſuis point étonné que ces mots-là ſéduiſent par leur flatteuſe amorce. Rien de douloureux, rien de violent ne les accompagne ; les vaiſſeaux