Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome troisième, 1796.djvu/254

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la reine de son empire sur d’autres intérêts que ceux de la volupté ?

Le plaiiir de la table succède à celui des spectacles. Le voluptueux sait choisir ses convives ; il veut qu’ils soient, comme lui, sensuels, délicats, aimables, & plutôt gais, plaisans, que spirituels. Il écarte tout fâcheux conteur, tout ennuyeux érudit. Sur-tout point de beaux esprits ; ils aiment plus à briller qu’à rire. Des bons mots, des saillies, quelques étincelles, (l’esprit a sa mousse comme le Champagne) mais plus encore de joie ; & que le goût du plaisir pétille dans tous les yeux, comme le vin dans la fougère. Le gourmand gonflé, hors d’haleine dès le premier service, semblable au cigne de La Fontaine, est bientôt sans desirs. Le voluptueux goûte de tous les mets : mais il en prend peu, il se ménage, il veut prositer du tout. Comus est son cuisinier, & la fine Vénus a bien ses raisons pour fournir ses ingrédiens. Les autres sablent le Champagne ; il le boit, le boit à longs traits, comme toutes les voluptés. Vous sentez qu’il préfère à tout ces charmans têtes-à-têtes, où les coudes sur la table, les jambes entrelacées dans celles de sa maîtresse, les yeux sont le plus foible interprète du langage du cœur. Versez, Iris, versez à plein verre. « Qu’il endorme, ou qu’il excite, la traite est petite, de la table au lit ». Cette nuit, distillé par l’amour, il vous sera rendu…