Page:La Nature, 1878, S2.djvu/118

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suivante, pendant laquelle les chênes conservèrent leurs proportions amaigries.

En détournant les regards vers une autre catégorie, celle des espèces à feuilles dentées ou lobulées, nous constatons aisément une marche absolument analogue. Pour en être convaincu, nous n’avons qu’à comparer, en recourant à des figures précédentes, les feuilles des chênes de la forêt de Gelinden, surtout le Quercus parceserrata Sap., au Q. antecedens Sap., des gypses d’Aix, au Quercus cuneifolia Sap., de Gargas, et au Q. velauna Mar., de Vonzon. C’est par suite du rétrécissement des dimensions du limbe, sous l’influence du climat éocène, que fut constituée en Europe la section des ilex ou chlorobalanus qui depuis a persisté jusqu’à nous, tout en modifiant ses caractères, c’est-à-dire en présentant des feuilles plus larges ou plus étroites, selon les alternatives de climat plus humide ou plus sec, qui se reproduisaient. Le chêne vert de Coumi et de Radoboj (Quercus mediterranea Ung.) a déjà des feuilles plus grandes que celles du Q. antecedens ; mais les formes relevant du même type que l’on rencontre soit au mont Charray, soit à Meximieux, c’est-à-dire dans le miocène supérieur et le pliocène inférieur, dans des stations et à des âges plus humides que les précédentes (Q. prœilex et Q. prcecursor Sap.) portent des feuilles encore plus amples, dont les dents épineuses disparaissent ou tendent à s’effacer (fig. 2). De nos jours, le Quercus ilex dans les limites d’une espèce, remarquable par sa polymorphie, réunit une foule de nuances, variétés individuelles ou races locales, les unes au feuillage ample réservées aux stations humides, les autres au feuillage étroit et coriace, plus fréquentes sur les sols et dans les expositions secs et chauds.

Après avoir rendu un compte très-sommaire des modifications qui ont affecté l’organisme des végétaux d’une façon générale et dans une direction déterminée, il serait très-intéressant de pouvoir saisir et décrire celles au moyen desquelles les types se sont graduellement transformés, avant de revêtir les caractères qui les distinguent et quelle série d’états successifs chacun d’eux a traversés soit en se fixant, soit en donnant naissance à un type voisin. Ces sortes de mutations sont visibles dans les animaux supérieurs, je veux parler des mammifères ; chez ces derniers, ils se sont accomplis dans le cours de l’époque tertiaire, à des intervalles assez rapprochés et en produisant des ramifications assez nombreuses, pour devenir l’objet d’une récente étude de M. A. Gaudry sur les Enchaînements du règne animal. Mais ici, justement se présente l’application rigoureuse de deux lois, dont l’une a été formulée par ce même savant : elle veut que les êtres, au sortir de cette élaboration toujours obscure, longue et difficile à suivre, d’où les catégories supérieures paraissent issues, aient été l’objet de transformations d’autant plus rapides que ces êtres sont plus élevés en organisation. Cette loi isolée serait insuffisante à l’explication des phénomènes que nous considérons, si l’on ne lui en adjoignait une autre qui établit une solidarité nécessaire entre les deux règnes ; d’après cette seconde loi, le développement des animaux terrestres est forcément subordonné à celui de la végétation, qui leur fournit des aliments ; par conséquent, le développement des premiers n’a pu être ni antérieur ni même contemporain de l’évolution à laquelle cette dernière a dû son complément ; il l’a suivi seulement et même d’assez loin.

À raison de ces deux lois combinées, il se trouve que le règne végétal avait acquis ses traits caractéristiques bien avant que l’autre eût complété les siens ; en sorte que les principaux groupes et même les genres de plantes qui constituent l’immense majorité de nos flores actuelles étaient arrêtés et à peu près fixés dans les limites qu’ils ont encore dès l’origine, probablement même avant le début des temps tertiaires. Il est facile de constater effectivement un très-grand contraste à ce point de vue entre l’un et l’autre règne. Les véritables herbivores, qui sont les ruminants, ne commencent à se manifester que vers l’oligocène, et leurs genres les mieux définis ne se montrent que beaucoup plus tard. Il en est de même pour les carnassiers et pour une foule de genres et de groupes comme celui des équidés et des proboscidiens dont l’évolution n’était pas encore achevée à la fin du miocène. Le règne végétal, point de départ nécessaire de l’évolution des faunes de vertébrés supérieurs, a dû forcément devancer celles-ci. Les flores paléocènes de Gelinden et de Sézanne, malgré le nombre relativement restreint des espèces qu’elles renferment, permettent d’affirmer qu’un nombre considérable de familles végétales étaient dès lors arrêtées dans leurs limites actuelles et que leurs genres ou leurs principales sections n’ont plus varié. En l’affirmant des types que l’on connaît, on peut l’affirmer de beaucoup d’autres par analogie, sauf en ce qui concerne les familles herbacées et très-nombreuses, dont les genres ne résultent guère que de modifications organiques d’une minime importance, comme les ombellifères, les composées et la plupart des gamopétales.

La flore de Gelinden démontre qu’il existait dès lors de vrais chênes et à côté d’eux de vrais châtaigniers ; la craie ayant fourni des vestiges reconnaissables de hêtres, on peut dire que les Cupulifères étaient déjà partagées comme maintenant en trois sections dont les subdivisions ou sous-genres seuls n’étaient peut-être encore ni définis ni combinés, ainsi qu’ils l’ont été ensuite. Une foule de genres ou même de sections de genre n’ont plus changé depuis cette date, à l’exemple de ceux qui précèdent. Dès le paléocène, par exemple, le type des viornes, celui du lierre, celui de la vigne, déjà distinct de celui des Cissus qui en est si rapproché, celui des saules, des cornouillers, etc. étaient représentés par des formes se rattachant aux nôtres de trop près, pour que l’on soit en droit de supposer des différences tant soit peu marquées dans ceux de leurs organes qui ne sont pas