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LA NATURE.

fond se compose d’un sable onctueux d’une très-grande finesse, où ils peuvent se mouvoir aisément à l’aide de leurs rayons épineux, dont les développements sont, comme on le sait, très-considérables. Quoique le test globulaire de ce rayonné n’ait qu’un centimètre de diamètre, les grands rayons en ont jusqu’à cinq. C’est seulement du côté de la bouche que ces organes ont des dimensions beaucoup moindres. Tous ces organes, surtout ces derniers, sont remarquables par leurs profondes dentelures.

Dans quelques spécimens on a trouvé des épines légèrement courbes, mais rien n’a justifié l’assertion d’Agassiz qui, d’après l’inspection d’un jeune salenica varispina, prétend que ces étranges organes, qui chez tous les oursins repoussent avec une si merveilleuse facilité, peuvent prendre une forme quelconque. En effet, la majeure partie des épines des individus capturés étaient de même forme. Toutefois on a trouvé quelques rayons ayant une légère courbure. Ceux qui se trouvent dans le voisinage de la bouche ont des dimensions moindres et sont légèrement aplatis en forme de rame, disposition de nature à faciliter la locomotion.

Tous ces rayons sont imperforés, ce qui permet à l’animal d’introduire par de petites ouvertures microscopiques les proies infimes qui viennent se fixer sur ses épines, et dont il fait en quelque sorte son ordinaire. Ce n’est pas, en effet, tous les jours que sa bouche peut lui servir. Elle est cependant placée, comme on le voit, au milieu d’une série de trous par lesquels il peut projeter les bras gélatineux à l’aide desquels il saisit les proies majeures et les applique avec force contre ce que l’on peut appeler ses lèvres.

Salenica varispina.
Trouvé à 1 200 mètres de profondeur.
(Double de grandeur naturelle.)

L’organisation intérieure de cet être étrange ne diffère en aucune façon de celle des oursins que l’on recueille sur les rivages de la Méditerranée. La partie qui serait comestible, s’il valait la peine d’aller les pêcher à une profondeur aussi grande, serait les ovaires, qui laissent échapper des germes en nombre immense. Cette étrange fécondité n’empêche point probablement les oursins de se reproduire par scissiparité. Aussi, comme bon nombre d’individus ont été brisés par les mâchoires de la sonde, on peut supposer que les échantillons prélevés par le Challenger n’ont pas diminué la population sous-marine. Les individus entamés ont peut-être repoussé à l’époque où nous écrivons ces lignes, grâce à une opération analogue à celle que Médée fît subir à son père Jason pour le rajeunir. Pourtant il n’y a rien de certain à cet égard.

Les oursins qui possèdent un anus distinct de la bouche, et situé généralement sur la face opposée, marchent en tête de l’embranchement des rayonnés et sont doués d’une organisation relativement élevée. L’extrême abondance de ces salenica est d’autant plus remarquable que le test lui-même est zébré très-délicatement de bandes rouges et blanches teignant les zones, que l’on nomme ambulacraires et interambulacraires.

Les modifications physiques de l’habitat semblent exercer une influence à peu près nulle sur l’organisation des échidnées en général. C’est ce qui explique que les espèces vivantes offrent tant d’analogie avec celles du monde fossile. Cette race innombrable traverse sans se sentir touchée, les révolutions les plus considérables. Les oursins sont certainement de tous les animaux doués de motilité, ceux qui ont le plus de tendance à se fossiliser. Pendant leur vie, ils ressemblent tant à la pierre que la nature n’a qu’un bien faible effort à faire pour pétrifier leurs cadavres.

La présence de ces salenica varispina dans des fonds de 1 250 mètres est importante à un autre point de vue. Elle montre que quand nos fossiles tertiaires se sont formés, c’était peut-être au sein d’océans d’une profondeur immense.

La suite prochainement. —