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LA NATURE.

coccus[1], et il les avait vus morts, parce qu’il avait totalement rempli et hermétiquement bouché les flacons qui les renfermaient. Or, ces petits animaux ont un immense besoin de respirer. Accumulés en nombre prodigieux dans une quantité d’eau trop restreinte et entièrement soustraite à l’influence de l’air extérieur, ils avaient succombé tous pendant le voyage de Villeneuve à Montpellier. Devenus immobiles et globuleux, ils avaient été pris pour de vrais protococcus. Nous avions, nous, évité cette cause d’erreur en remplissant seulement à moitié nos flacons et en les laissant largement ouverts, ou mieux encore en examinant l’eau des salines au moment où elle venait d’être puisée.

Monas Dunalii, grossis 420 fois.
a, très-jeunes individus tout à fait incolores. — b, individus non adultes et colorés en vert, — c, Monas adultes d’un rouge très-foncé. — d, Monas un peu moins rouges.

Un fait bien digne de remarque qui se rattache à l’histoire des Monas Dunalii, c’est que, semblables sous ce rapport au protococcus nivalis, qui colore la neige des régions polaires, tantôt en vert, tantôt en rouge, nos animalcules présentent, dans leur jeune âge, une teinte verdâtre, qui passe aussi au rouge de brique, puis au rouge sanguin.

Monas Dunalii, vus quelque temps après leur mort et devenus globulaires.

Le degré de concentration des eaux exerce sur eux une influence des plus marquées. En effet, le 1er octobre 1839, après un été des plus secs, dont on ait gardé le souvenir, le liquide contenu dans les tables indiquait 25° de salure à l’aréomètre de Baumé, et il présentait une teinte si foncée, qu’en y plongeant, à une faible profondeur, le coin de mon mouchoir, je le retirai rouge comme si je l’avais plongé dans du sang. Le 28 octobre, après vingt jours de pluies continues, les eaux des pièces maîtresses, au lieu d’offrir cette nuance pourpre qu’elles avaient le premier du mois, ressemblaient à du sang très-chargé de sérum, et les monades y étaient moins nombreuses et moins rouges, quoique ces eaux atteignissent encore 20° de salure.

Les mêmes, décolorés.

Enfin, nous ne devons pas oublier de dire que les Monades sont très-sensibles à la lumière, qu’elles la recherchent avec une sorte d’avidité. On peut aisément s’assurer de ce fait en mettant un certain nombre de nos infusoires dans un flacon aux deux tiers plein d’eau marine. On ne tarde pas alors à les voir s’élever à la surface du liquide et se rassembler en plus grand nombre du côté le plus éclairé. Si l’on retourne le vase où ils sont captifs, de manière à les placer du côté le plus obscur, ils reprennent bientôt après leur position première.

Portion du tube digestif de l’Artemia salina, au travers duquel on aperçoit en a, a des Monades mortes mais, non encore digérées, et en b, b des cristaux cubiques de sel marin.

Notons aussi que nos animalcules descendent quelquefois au fond des tables qu’ils occupent, et qu’alors la coloration de la surface diminue ou disparaît totalement. Ajoutons enfin que nous avons pu, moyennant certaines précautions, faire arriver nos Artemia vivants à Paris, qu’ils ont eu l’honneur d’être présentés à l’Institut, et qu’ils ont été vus au microscope par quelques-uns des membres les plus illustres de la savante compagnie.

Il était donc bien démontré désormais que les Monas Dunalii étaient la cause de la coloration en rouge des marais salants méditerranéens ; mais en étaient-ils la cause unique ? Les Artemia salina, signalés par MM. Audouin, Dumas et Payen, ne contribuaient-ils pas, eux aussi, au phénomène qui nous occupe ? Tel était le nouveau problème à résoudre,

  1. Je me suis convaincu, par des expériences directes, qu’il suffit de mettre une goutte d’alcool très-étendu, ou même une simple goutte d’eau douce sur le porte-objet où se meuvent rapidement les Monades de Dunal, pour voir ces animalcules devenir à l’instant immobiles et globuleux.