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LA NATURE.

grands maîtres par le burin ou par la lithographie. La photographie réalise ce miracle, de multiplier à l’infini une estampe du Corrège ou du Titien.

De quelles ressources sont, entre les mains d’un architecte ou d’un archéologue, les vues des monuments de pays lointains ! Les merveilles d’Athènes et de Rome, les inimitables richesses des monuments de l’Inde, les formidables temples égyptiens, peuvent tenir dans son carton, non pas modifiés et défigurés par un crayon peut-être infidèle, mais tels qu’ils sont, avec leurs beautés, leurs imperfections, et les marques de destruction que le temps y a gravées. Les épreuves photographiques sont les miroirs où se reflètent les rives du Nil et de l’Indus, les constructions et les sites naturels de tous les pays où la chambre noire a passé.

L’explorateur, armé de son bagage photographique, que l’on sait construire aujourd’hui de façon à l’utiliser partout avec facilité (fig. 3), rapporte de son voyage des documents incomparables, en ce sens qu’il est impossible d’en nier l’exactitude. Un photographe représente l’objet tel que la nature l’a formé, le monument tel qu’il l’a vu. Une colonne cassée, une tache dans une pierre, rien ne manque à l’épreuve. Un tableau, une aquarelle ne peuvent jamais être d’une précision aussi rigoureuse. L’artiste est souvent tenté de retrancher quelque objet qui semble nuire à l’effet de l’ensemble, ou d’ajouter quelque ornement à son œuvre. Enfin, dans certains cas, la photographie est capable de reproduire, à l’aide de la lumière artificielle, l’aspect de chefs-d’œuvre ou de beautés naturelles plongés dans les ténèbres. Il existe dans quelques souterrains des temples égyptiens, des peintures hiéroglyphiques, que l’on peut reproduire exactement par la photographie à l’aide de la lumière au magnésium. Le mode d’opérer est identique à celui qui a été employé pour prendre les vues photographiques de certaines parties curieuses des catacombes de Paris (fig. 4).

Fig. 4. — Photographie au magnésium dans les catacombes.

Les applications de la photographie à l’art sont innombrables, et l’avenir nous réserve certainement bien des surprises à cet égard. La photoglyptie, née d’hier, ne tardera certainement pas à produire des épreuves inaltérables, aussi durables que les caractères typographiques ; elle perpétuera ainsi dans l’histoire la figure des grands hommes qui ont joué un rôle dans les évolutions de la société moderne. Quel prix incomparable n’attacherait-on pas aujourd’hui à la photographie des grands écrivains du siècle de Louis XIV, ou des philosophes du dix-huitième siècle ! quelles émotions profondes n’éprouverait-on pas à la vue de l’image fidèle des génies qui ont éclairé l’humanité ! Nos descendants jouiront assurément de ces surprises et de bien d’autres encore que nous sommes impuissants à soupçonner.

Il n’est pas douteux que, dans un avenir sans doute assez rapproché, les usages de la photographie s’étendront vers des horizons inouïs. Nous n’en choisirons pour exemple qu’une nouvelle application dont on a déjà pris l’initiative aux États-Unis. Un témoin oculaire, qui avait assisté de l’autre côté de l’Atlantique à quelques-unes des scènes tumultueuses, des dernières élections, nous a affirmé, qu’un opérateur américain était arrivé à prendre la photographie instantanée d’une réunion publique en plein vent. Il avait subitement fixé au foyer de la chambre noire l’orateur qui gesticulait du haut de sa tribune improvisée, le groupe des auditeurs, qui levaient les bras et s’agitaient, les uns avec des marques d’approbation et d’enthousiasme, les autres avec des signes d’impatience ou de colère. Ce photographe courut à son atelier pour transformer le cliché en planche typographique, par les procédés de l’héliogravure ; s’il avait réussi, le soir même, on eût répandu sur la place 100 000 exemplaires de la photographie, tirée à la presse. Il échoua. Mais d’autres réaliseront plus tard ce prodige inouï, qui consiste à reproduire sur le collodion les scènes animées, à retracer d’une manière impérissable l’homme en action, en mouvement, la foule qui s’agite, les armées qui combattent, l’orateur qui parle, la vague qui écume, ou l’étoile filante qui trace dans l’azur du ciel son sillon lumineux !


CHRONIQUE

Le ballon de Natal. — Tous les journaux politiques ont traduit, sans se permettre la moindre réflexion, un paragraphe du Daily-News annonçant la découverte, à Natal, des débris d’un aérostat du siège de Paris.

La trouvaille aurait été faite sur les bords du Tugela,