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LA NOUVELLE REVUE

former une mosaïque. De cette masse de verdure s’échappait d’ailleurs un porche de bois vernis d’un dessin spirituel et exquis ; et à travers les fenêtres, des fenêtres anglaises à guillotine, ornées de petits rideaux de soie crème et de stores vieux rose, certains détails d’intérieur se révélaient qui faisaient dire aux passants : voilà une demeure où la vie doit être douce.

Le soir, les lampes électriques brillaient à travers les stores vieux rose comme sous le porche de bois vernis qui, éclairé ainsi par en dessous, prenait un air de fête. Un tapis jeté sur les marches descendait jusque dans la rue ; des lierres minuscules et des vignes aux feuilles pourpres se hissaient curieusement le long des montants afin de voir entrer les invités. Étienne s’arrêta pour laisser passer trois dames emmitouflées. Elles descendaient d’un de ces étranges petits omnibus qui basculent sur de grandes roues et dont la portière s’ouvre à deux battants le plus comiquement du monde grâce à un cordon que tire le cocher. On est sensé y tenir quatre ; en fait, deux personnes suffisent à les remplir. Aussi le déballage de ces dames avait-il demandé quelques minutes. Étienne reconnut l’une d’elles et salua. « Oh ! mister Crousshaine, s’écria-t-elle, glad to see you » [1] ; et s’adressant à la plus jeune de ses compagnes : «  My love, this is M. Crousshaine, the French marquess, you know, who comes from Brittany and plays the piano to well ! » [2]. Miss Bessie ne savait pas du tout qu’il y eût à Washington un marquis français qui venait de Bretagne et jouait bien du piano ; mais comme ces particularités n’avaient en elles-mêmes rien de déplaisant, elle sourit avec gentillesse et tendit la main au jeune homme : « She is our niece, you know, and so sweet !… reprit l’exubérante lady, and here is my sister who was touring with her in the Bahama Islands. They arrived yesterday » [3]. Étienne salua de nouveau et remarqua que l’air des Bahamas avait mis de belles couleurs sur les joues de la nièce et que les deux tantes se ressemblaient à ne pouvoir les distinguer l’une de l’autre. Miss Mabel et miss Clara Simpson ne s’étaient

  1. Oh ! mister Crousshaine ! Bien contente de vous revoir !
  2. Mon amour, voici mister Crousshaine, le marquis Français, vous savez, qui arrive de Bretagne et joue si bien du piano.
  3. Elle est notre nièce vous savez, et si charmante !… Et voici ma sœur qui vient de faire avec elle un tour dans les îles Bahama. Elles sont arrivées hier.