Page:La Nouvelle Revue - 1899 - tome 116.djvu/599

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
601
LE ROMAN D’UN RALLIÉ

pensée ; en fait de sport on ne lui avait enseigné que l’équitation complément indispensable de son éducation de gentilhomme : c’était assez pour lui donner le goût du mouvement, pas assez pour le blaser. Il se passionna pour l’escrime, pour la boxe, pour le canotage. En même temps les livres s’entassèrent autour de lui ; il voulait connaître les grandes œuvres qui remuent l’humanité. Il les lut avidement, au hasard, notant tour à tour ses émotions profondes et ses déceptions imprévues. Les auteurs à l’index pénétrèrent sous le toit de la Marquise de Crussène pêle-mêle avec les orthodoxes, l’Histoire du Peuple d’Israël et les Paroles d’un croyant se dissimulant derrière le Génie du Christianisme, Voltaire et Darwin couverts par de Maistre et Bonald, Gargantua et La Fontaine conduits par Molière et Don Quichotte. Étienne se lassa vite du bal qu’il trouva monotone et des Folies-Bergère qu’il jugea insipides : les franches gaîtés de la salle d’armes, la saine fatigue des courses à cheval ou à bicyclette répondaient mieux à ses besoins et à ses instincts. Les rapides et rares silhouettes féminines qui traversèrent sa vie aux environs de ses vingt ans, s’évanouirent comme des ombres sans laisser de souvenirs énervants. Ce qui le dominait, c’était la curiosité. Elle montait toujours. Étienne glanait le savoir par bribes jusque chez les ennemis de l’ordre social. Il eût voulu faire davantage, pouvoir changer de milieu, vivre des vies différentes. Mais cet éclectisme était son secret : il le cachait si bien sous des allures irréprochables qu’à peine quelques intimes se doutaient-ils de son existence en partie double.