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LA NOUVELLE REVUE

tant plus naturelle que les merveilleux progrès accomplis dans le domaine scientifique allaient légitimer d’incessantes propositions de remaniement des programmes.

On les a remaniés, en effet, longuement, infatigablement et on n’est point au bout sans doute puisque la majorité de l’opinion française croit encore qu’elle pourra obtenir du « fort en mathématiques » ce qu’elle n’a pu obtenir du « fort en thème » : du caractère et de la volonté. Voilà pourquoi rien ne peut être plus inhabile et plus infécond que de dire à un auditoire assemblé pour savoir comment on fera une France extérieure, riche et puissante : « Messieurs, modifions notre enseignement public ! » Je n’en veux pas parler, ici, de ce grec et de ce latin auxquels Jules Lemaître prodigue aujourd’hui les critiques acerbes comme le faisait hier Raoul Frary, comme un autre peut-être le fera demain, car ces langues mortes ont la vie dure. Je n’en veux pas parler malgré qu’elles me paraissent les bases inébranlables de la culture française et que je redoute l’effrayante aridité qu’engendrera dans les jeunes esprits une instruction exclusivement scientifique égayée seulement d’un peu d’allemand de caserne ou d’anglais de commerce. Si j’en parlais, je mériterais le reproche que j’adresse à d’autres, celui de mêler dans l’opinion de ceux qui me lisent deux ordres de faits très différents. Car enfin, de quoi s’agit-il ? De quoi se plaint-on ? Il s’agit de nos garçons qui n’apportent d’entrain et d’énergie que dans les carrières toutes tracées, qui n’accomplissent avec zèle et persévérance que les services commandés et qui, surpris, désorientés, se dérobent devant les entreprises d’initiative privée ou bien s’y donnent timidement pour s’arrêter, bientôt, découragés. Voilà de quoi se plaignent les explorateurs qui voient l’empire colonial créé par eux rester en friche, les comptoirs commerciaux fondés par eux demeurer sans agents, les débouchés ouverts par eux s’ensabler faute de trafic. C’est pour remédier à cela que les quatre mille personnes convoquées par Bonvalot au nom de son comité Dupleix sont venues entendre la parole de M. Jules Lemaître. Et au lieu de leur tenir ce langage : « Vous êtes français ; par traditions et par habitude d’esprit vous confondez l’éducation avec l’instruction ou comme disaient nos pères, le vouloir et l’entendement. Eh bien ! la première chose dont il faut que vous soyez convaincus, c’est que, quelle que soit la nourriture intellectuelle qui sera servie à vos fils, vous n’en ferez jamais des hommes si vous ne leur fournissez pas le moyen d’ap-