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LA NOUVELLE REVUE

des inactifs, mais qui est plutôt une perversion intellectuelle, un désordre des facultés, une absence de gouvernement intérieur. Si le flemmard travaille, c’est par habitude ou pour chasser l’ennui, mais il ne croit pas à son travail. « À quoi bon ? » est le dernier mot de sa sagesse. Il se réjouit d’apercevoir les côtés contradictoires de chaque question et il prend plaisir à noter les continuels échecs et les perpétuels recommencements de l’humanité. Tout lui parait digne d’être analysé, l’important comme l’inutile, l’absurde comme le raisonnable, et de cette analyse ressort toujours quelque motif d’hésiter, de s’abstenir ou de se méfier : ce que ne manquait jamais de faire Jean de Chateaubourg.

« Es-tu fou ? » demanda-t-il de nouveau, voyant qu’Étienne ne répondait pas. — « Probablement » fit celui-ci en riant. — « Ça, reprit l’autre, je te le pardonnerais encore. La folie, c’est une carrière qui ne doit pas manquer d’intérêt, mais je n’admets pas que tu te laisses rouler par un sous-vétérinaire. » — « Qui appelles-tu un sous-vétérinaire ? » — « Vilaret, parbleu ! Il te réduit et veut t’annuler en te prenant à sa remorque » — « Il ne me prend pas à sa remorque, puisqu’il abandonne sa circonscription pour se présenter à Rennes en remplacement du député qu’on va élire sénateur » — « Est-on jamais certain d’une élection ? » — « Le sénateur n’a pas même de concurrent et quant à Vilaret son succès ne fait pas l’ombre d’un doute. Il est tout ce qu’il y a de plus populaire en Ille-et-Vilaine et ses concitoyens n’ont cessé d’insister depuis dix ans pour qu’il pose sa candidature à Rennes » — « Enfin si tu veux absolument être député, prends sa succession, mais au moins ne prends pas son drapeau ! » — « Je ne tiens pas autrement à être député, je t’assure ; je considère cela un peu comme une corvée mais aussi comme un devoir. »

Jean haussa les épaules. « Oh ! les grandes phrases ! » dit-il. — « Et quant au drapeau, continua Étienne, je ne puis pas me réclamer d’une monarchie dont j’estime que le rétablissement serait nuisible à la France. Ce ne serait pas honnête » — « Encore des grandes phrases ! répliqua Jean. Est-ce qu’il y a en politique, une démarcation fixe entre ce qui est honnête et ce qui ne l’est pas ? Est-ce que les mots de république et de monarchie représentent des états de choses tranchés ? Est-ce qu’un régime peut être blanc et un autre noir ? Tu me fais rire avec tes manières de raisonner. Si tu continues de croire à l’absolu, tu deviendras jacobin ! Il n’y a rien d’absolu. Tout est variable et relatif… et maintenant, mon vieux,