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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

pensée du Père Lanjeais. Évolution, c’était pour lui, quand il s’agissait de l’âme humaine, synonyme d’absurdité et de perdition. — « Alors, mon Père, interrogea la marquise, vous estimez que le remède n’est pas à la portée de ceux qui ont passé par d’autres mains que les vôtres ? » — « Je ne dis pas cela, madame, protesta le religieux ; oh ! je ne dis pas cela ! ce serait de la présomption. Les voies de Dieu sont impénétrables d’ailleurs et sa miséricorde est immense. Mais mon expérience personnelle me conduit à penser que le mal est parfois moins difficile à combattre que les apparences du bien. Le jeune homme qui, troublé par la folie des sens, cède à d’impérieuses séductions ou même celui qui néglige momentanément la pratique de ses devoirs religieux peuvent être moins malades qu’ils n’en ont l’air ; au contraire celui qui cherche en soi-même, à l’aide du raisonnement, la force qu’il ne pouvait trouver qu’au dehors, celui-là a chance d’être plus gravement atteint qu’on ne le croirait à première vue ».

— « Et que peut-on tenter pour sauver celui-là ? » demanda la marquise. — « Le mariage, madame, répondit le père Lanjeais, voilà l’unique chance de salut. La femme qui les entraîne au vice sait aussi les ramener à la vertu. Mais il faut qu’on la choisisse avec discernement et surtout qu’elle vienne à son heure. Là est le point important ! Que de mariages n’ont pas donné les fruits qu’on en attendait parce qu’ils ont été conclus trop tôt. À moins d’un orgueil invétéré, d’un esprit d’indépendance véritablement opiniâtre, en face duquel il n’y a plus à compter alors que sur le coup de foudre qui arrêta saint Paul sur le chemin de Damas — l’expérience de la liberté dans l’ordre moral doit aboutir chez le jeune homme élevé chrétiennement à une déception — comment ne se rendrait-il pas compte de son impuissance à rien définir, à rien expliquer, à rien fonder de résistant et d’immuable ? C’est alors que l’influence modeste et tendre d’une jeune fille qui possède elle-même le calme et le repos intérieur donnés par la foi, peut agir efficacement… » Le Père Lanjeais se tut ; puis au bout de quelques instants il ajouta : « Mais cela, c’est le second acte ».

— « Et quel est le premier ? » dit la marquise. — « Le premier, soupira le religieux, c’est le temps qui doit le jouer. Il faut laisser l’utopie s’user d’elle-même. La jeune génération actuelle se targue en vain d’indifférence ; elle atteint assez vite le bord de l’abîme et près d’y tomber, appelle au secours. La science est là qui veille, la science qui n’est qu’un athéisme déguisé, avec ses fausses clartés