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LA CRISE MORALE

retour à la doctrine spiritualiste, seule capable de rendre l’équilibre à notre monde désemparé.

Un homme politique, critique éminent, développait la pensée de M. Émile Beaussire, en tous ses prolongements. Edmond Schérer pensait que les découvertes et les théories de la science moderne étaient la cause de la dissolution morale[1]. Si le niveau de la moralité était singulièrement bas, il fallait en chercher la raison dans les récentes théories de l’automatisme psychologique, du déterminisme scientifique, dans les affirmations du darwinisme, et les doctrines phénoménistes. Mais Edmond Schérer, sans conclure, constate avec peine la disparition de ce que l’humanité considérait jadis comme des titres de noblesse : ce mouvement lui paraît inévitable ; nous allons vers la médiocrité et la vulgarité, tout le monde devant être content s’il y a un certain bien-être, une certaine uniformité de surface. — Lamentations de pessimiste ! dira-t-on. Et cependant, dans son élan de rénovation, l’esprit moderne ne risquerait-il pas de faire fausse route ? Destructeur de tout ce qui dépasse les limites de l’expérience sensible, redoutant le retour offensif d’un dogmatisme suspect à la raison, n’a-t-il pas à la légère prononcé des proscriptions contre des idées et des principes, seuls capables de donner un sens à la conduite supérieure de l’humanité, et de la distinguer de la vie animale et vulgaire ?[2]. Il n’est donc pas étonnant que la fin du xixe siècle ait vu discuter avec tant de passion, les idées et les théories morales. À ce moment M. A. Fouillée publiait sa remarquable Critique des systèmes de morale contemporains ; Guyau voulait, dans ses curieux ouvrages, supprimer l’obligation et la sanction et en cherchait les « équivalents » dans les qualités mêmes de la vie. Secrétan se rapprochait de la tradition chrétienne en établissant le Principe de la Morale, et allait montrer que tous les problèmes posés par la société contemporaine se ramènent à la question morale, que la civilisation repose sur la croyance au droit et au devoir[3]. Enfin Herbert Spencer complétait sa philosophie synthétique en écrivant les Principes de Sociologie et les Principes de Morale.

Ce n’était pas seulement aux philosophes de profession aux penseurs que s’imposaient ces recherches ; les grandes ques-

  1. Edmond Schérer. Études sur la littérature contemporaine. T. VIII, p. 155-185. Août 1884.
  2. Cf. Séailles : Op. cit. P. 102-111
  3. Voir la Civilisation et la Croyance.