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LA NOUVELLE REVUE

systèmes de morale entre lesquels notre époque aurait à choisir, aussi bien celui de Charles Renouvier et celui d’Auguste Comte, que ceux de Nietzsche, de Proudhon ou de Karl Marx[1]. Le directeur de la plus importante revue philosophique en France me disait aussi que jamais il n’avait vu affluer dans son cabinet de rédaction un aussi grand nombre d’articles portant sur des sujets de morale, de sociologie, ou d’éducation. Enfin, quand elle a refait les plans d’études de l’enseignement secondaire, l’Université a introduit dans les programmes des classes de troisième et de quatrième des cours spéciaux de morale qui sont recommandés aux professeurs par toutes les instructions ministérielles, et sur lesquels recteurs et inspecteurs généraux provoquent avec raison les efforts des maîtres.

De tous côtés, les préoccupations se tournent vers la morale. On reconnaît qu’il ne suffit pas de savoir penser, mais que nous avons surtout besoin de caractères et d’hommes d’action. Il n’est donc pas déplacé de parler d’une crise morale.

Mais, dira-t-on, ne serait-on pas plus écouté si l’on parlait de crise sociale ? Des questions telles que celles du travail, du capital, de la richesse, du paupérisme, du chômage forcé ne soucient-elles pas un plus grand nombre d’individus que les discussions philosophiques ? Ne répète-t-on pas toujours qu’avant de discuter sur la valeur des théories, il faut vivre et assurer les conditions de l’existence matérielle ? Primo vivere dende philosophari.

Personne ne contestera le caractère angoissant des nécessités matérielles et quotidiennes qui font de notre société l’œuvre imparfaite que tous ont le devoir d’améliorer. Mais, n’a-t-on pas soutenu, avec raison, que la question sociale est une question morale ? Peut-on prétendre que les transformations extérieures de la société modifieront l’être moral, et qu’on doit tout attendre de la toute puissante évolution, comme le pense l’École de Marx, s’inspirant des théories hégéliennes ? D’ailleurs, dans les milieux socialistes et dans les masses populaires, on abandonne ces idées simplistes ; on proteste contre cette philosophie déprimante qui donne tout à faire au mécanisme de la production, et rien à faire à la volonté de l’individu[2].

C’est sur cette volonté qu’il faut agir ; c’est la « mentalité »

  1. Voir La Philosophie morale au XIXe siècle. Bibl. gén. des sciences sociales).
  2. Daniel Halévy : Histoire de Quatre ans 1997-2001 ; un article d’E. Fourniére, dans la Petite République. Eugène Rostand dans le Journal des Débats, 17 janvier 1905. Annales de l’Institut international de sociologie, 1902.