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LA NOUVELLE REVUE.

combien ils entendent y demeurer fidèles. La doctrine de Monroe est l’expression de ce sentiment ; son sens va se précisant et sa portée s’affirmant chaque jour. D’autre part, il n’est pas certain qu’ils aient renoncé à jouer un rôle dans l’hégémonie britannique. Bien des faits le démentent. Si leur situation les a placés à la tête du monde américain, leur origine les rattache au monde britannique, non peut-être à la vieille Angleterre, mais aux jeunes nationalités issues d’elle. Ils ont l’air d’être indépendants et ne le sont point. Aucune nation n’est attachée plus passionnément à des traditions plus impérieuses.

Quelles sont donc ces traditions ? D’où viennent-elles et où tendent-elles ? Nous en rechercherons la genèse en jetant un coup d’œil rapide sur les diverses phases du développement des États-Unis. Nous verrons comment la fortune se montra favorable à ce grand peuple, en accumulant autour de son berceau les obstacles, qui rendent fort, les labeurs, qui rendent persévérant ; nous verrons comment, dès le début, il s’est laissé remuer et conduire par des idées, comment sa prospérité matérielle a dissimulé aux regards superficiels ses préoccupations morales, comment sont nées ses conceptions de la charité, de la religion, de la famille, comment enfin, bien loin de pouvoir vivre dans un isolement paisible, il est condamné à se mêler de plus en plus au mouvement universel, à prendre une part de plus en plus active dans les affaires du monde — et peut-être un jour à les diriger.


LA VIE COLONIALE (1620-1700).


Rien n’égale l’étrangeté du spectacle que présente l’Amérique du Nord au début du xviiie siècle. Nul assurément ne saurait deviner la grandeur des destinées qu’un avenir très prochain lui réserve. Sur la côte Est, depuis le Canada, où la France domine, jusqu’à la Floride, que possède l’Espagne, dix colonies s’échelonnent entre lesquelles il serait difficile d’apercevoir, au premier abord, un lien commun, sauf peut-être l’esprit d’intolérance qui règne dans la plupart d’entre elles. L’unité n’existe, bien plus, l’unification ne semble réalisable ni entre les races, ni entre les croyances, ni entre les formes de gouvernement, ni même entre les intérêts.