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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

teur vivait là en souverain, entouré d’esclaves qui non seulement cultivaient le sol, mais filaient, tissaient, forgeaient, travaillaient le bois et gâchaient le plâtre, tandis que le maître chassait le renard, attelait à six chevaux, pariait dans les combats de coqs et exerçait une magnifique hospitalité. Très vite, cette société aristocratique s’était trouvée sur pied telle qu’elle subsista pendant de longues années ; pas assez vite cependant pour empêcher la formation d’un élément démocratique qui fut souvent assez fort pour la contenir et parfois pour lui faire échec. En 1671, d’ailleurs, les planteurs n’avaient encore que 2,000 esclaves et la Virginie renfermait déjà 40,000 habitants[1]. Il y avait parmi ceux-là beaucoup de poor whites, comme on les appelait dédaigneusement. Or les poor whites ont droit à la reconnaissance de la Virginie, quand ce ne serait que pour avoir, un siècle et demi plus tard, formé les héroïques bataillons de l’infanterie sudiste. Il y avait aussi çà et là sur la côte de petits groupes de puritains, de huguenots ; il y avait enfin certaines traditions datant des premiers jours de la colonie et auxquelles les planteurs n’osaient pas toucher. Cela suffisait à empêcher le triomphe absolu et définitif de l’oligarchie. Cela ne suffisait pas à développer la vie municipale ni surtout la vie scolaire. « Grâce au ciel, disait le gouverneur virginien Berkeley, nous n’avons dans ce pays ni écoles primaires gratuites ni presse à imprimer. C’est le savoir qui a introduit la rébellion dans le monde et l’imprimerie ne sert qu’à la propager. » Il ne put s’opposer toutefois à la force de l’exemple. Les écoles se créaient de colonie en colonie, comme des sémaphores sur les falaises. L’imprimerie se répandait de même. Tout ce qu’on put faire, ce fut de retarder jusqu’à 1736 la publication du premier journal virginien.

L’élément qui résistait ainsi aux obscurantistes et aux aristocrates était plus puissant encore dans la Caroline. Aussi n’eut-il pas de peine à secouer le joug que prétendaient lui imposer les seigneurs auxquels Charles ii avait, nous l’avons vu, abandonné le territoire carolinien. Ceux-ci s’étaient adressés au célèbre philosophe Locke pour qu’il leur préparât une constitution. Locke avait rédigé le plus singulier document qui se puisse analyser. Il établissait de grands domaines héréditaires et toute une hiérarchie nobiliaire dont les représentants portaient les appel-

  1. Il y avait à la même époque 55,000 habitants dans la Nouvelle-Angleterre.