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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitre XII).djvu/3

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Ces jours-là, maître Landry était radieux, bien que la présence d’un gueux dans sa rôtisserie si bien fréquentée l’offusquât quelque peu. En effet, ces jours-là, Pardaillan, qui ne payait jamais quand il était seul, payait généreusement. Une fois, il arriva à l’aubergiste d’en faire timidement l’observation au chevalier, qui lui répondit froidement :

— Vous vous prenez donc pour un grand seigneur, mon cher ? Fussiez-vous M. le duc de Guise, fussiez-vous le roi lui-même, que je ne vous permettrais pas l’impertinence de payer le repas de mes invités. Mes hôtes sont à moi, monsieur Grégoire !

D’autres fois, on le voyait arriver à l’auberge, toujours froid, toujours insensible, choisir quelque bonne poularde bien rissolée, y ajouter un pain, une bouteille de vin, et s’éloigner après avoir jeté un écu au garçon ou à la servante. Et alors, si ce garçon intrigué le suivait sournoisement, voici ce qu’il voyait.

Pardaillan pénétrait dans quelque taudis, où il avait remarqué une misère, déposait son paquet de victuailles devant les pauvres gens effarés, saluait d’un grand geste de son chapeau à plume de coq, et se retirait sans dire un mot.

Seulement, en s’en allant, il grommelait :

— Allons, bon ! Voilà que je viens encore de désobéir à M. de Pardaillan mon père ! Je serai sûrement damné dans l’autre monde !…

En attendant, le chevalier commençait à s’ennuyer dans celui-ci.

Il se disait non sans raison que cette existence était indigne d’un homme assoiffé de belles aventures, et qui se sentait de taille à aspirer à de grandes choses.

De sourdes ambitions, de vagues désirs le faisaient palpiter.

Bref, il s’ennuyait…

Les meilleurs moments étaient ceux qu’il passait à darder le feu plongeant de son regard sur le toit d’en face. Et lorsque, après des heures d’affût patient, il avait entrevu le radieux visage de l’inconnue, il était heureux ! il appelait cela faire provision de joie au cœur.

La voisine, peu à peu, s’apprivoisait.

Elle en vint à ne pas fermer précipitamment sa fenêtre ! Elle en vint à lever la tête ! Elle en vint à répondre au regard du jeune homme par un regard qui ne s’effrayait pas !

Mais la chose n’allait pas plus loin.

Pardaillan et Loïse ignoraient tout l’un de l’autre. S’aimaient-ils ?… Savaient-ils qu’ils s’aimaient ?…

Le chevalier savait seulement qu’elle était la fille de cette belle inconnue qu’on appelait la Dame en noir, et que les deux femmes vivaient modestement du produit des tapisseries qu’elles faisaient pour des dames de noblesse ou de riches bourgeoises…

Un jour, Pardaillan s’occupait dans sa chambre à raccommoder son pourpoint. Ordinairement, c’était Mme Landry qui s’occupait de ce soin. Mais la belle aubergiste, ayant surpris le chevalier les yeux fixés sur le toit