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O grand chêne, semé par mes lointains aïeux,
Dans tes branches parfois revient l’esprit des dieux.
Les aigles en passant déchirent ton feuillage,
Une noire sueur ruisselle de ton front,
Les abeilles, l’hiver, habitent ton vieux tronc.
Et les troupeaux, l’été, recherchent ton ombrage.
Mais moi, lorsqu’en rentrant, j’ose venir m’asseoir
Dans ton ombre terrible où s’empourpre le soir.
Je crois m’évanouir au milieu d’un orage.
La maison disparaît, tout le ciel devient noir.
Et tout un peuple en moi, cherchant à vivre, à voir,
Je sens mon cœur répondre au souffle de tempête
Qui dans tes feuilles d’or s’engouffre sur ma tête,
Et je n’entends plus rien, mes regards ne voient pas,
Mes mains ne touchent plus les lourds branchages bas.
Des dieux abandonnés je subis la colère.
Puis, tout à coup, l’esprit des vieux temples déserts
Me visite, et muet sous les feuillages verts.
Sourd comme Beethoven, aveugle comme Homère,
Dans mon sang à grands flots je sens couler ma mère,
La terre, la nourrice éternelle des vers,
Et dans mon cœur d’un jour s’abîmer l’univers.