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protégée par la solidarité générale qui unit en faisceau et garantit toutes les propriétés, s’il lui faut une loi spéciale qui la crée et la définisse, qu’est-elle autre chose qu’une jouissance d’une espèce particulière, accordée par la faveur de l’État ? Nous voici retombés dans le système actuel avec tous ses inconvénients et toute son injustice. En reconnaissant le droit des auteurs, c’est la société qui se dépouille ; quand on laisse à Racine ou à son héritier le droit de vendre ou de faire jouer Phèdre à son profit, c’est Racine qui est l’obligé.

Après l’expérience du passé, comment ne sent-on pas qu’en dehors de la propriété pure et simple, toute concession faite aux auteurs sera toujours considérée comme un privilége ; que les priviléges sont odieux, et que cette idée de privilége a été de tout temps le prétexte et l’excuse de la contrefaçon, la cause des incertitudes qui égarent l’opinion publique ? Prendre le bien d’autrui, c’est un vol, un acte odieux ; mais enfreindre un privilége, c’est rentrer dans le droit commun. Le contrefacteur est une victime de la légalité, un ennemi du monopole ; l’opinion en fait un personnage intéressant.

On peut donc affirmer que, loin d’assurer la propriété littéraire, la rétribution payée aux héritiers des auteurs par le domaine public payant, ne ferait que la compromettre. Ce serait jeter sur elle l’odieux d’un privilége et d’un monopole ; à la première émotion, on la supprimerait comme on a fait en 1793, au nom du droit commun et de l’égalité. Si vous voulez qu’on n’attente pas au droit des auteurs, reconnaissez que ce droit est une propriété ; si c’est une propriété, respectez-la comme toute autre propriété. En dehors de cette situation simple et nette, tout est chimère et danger.