Page:La Propriété littéraire sous le régime du domaine public payant.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 10 —

place dans la société ; c’est qu’on ne les soumette pas à des lois d’exception. Quand je bâtis une maison, la société ne mesure pas mon droit à la durée probable de ma construction ; elle reconnaît que nul autre que moi n’a droit à l’œuvre que j’ai faite, elle me protège envers et contre tous, en ma qualité de propriétaire. Pourquoi y aurait-il une exception pour les auteurs ? Ce que durera l’œuvre de Lamartine ou d’Alfred de Musset, personne ne le sait ; mais aussi longtemps qu’elle dure, pourquoi ne resterait-elle pas entre les mains des héritiers, pourquoi viendrait-il un jour où l’auteur perdrait sa propriété, le fruit de son labeur ?

Ce qu’il y a de curieux, c’est que ce système du domaine payant ne pourra s’exercer que là où il sera odieux et équivaudra à une véritable spoliation. Dans un siècle, que restera-t-il des grands noms d’aujourd’hui ? Il y aura peut-être trois ou quatre écrivains que la postérité adoptera, et qu’elle vénérera comme des maîtres et des modèles. Ce sont ceux-là dont on dépouillera les héritiers. On se plaint aujourd’hui qu’il y a des descendants de Corneille, de Racine, de Mozart qui sont dans la gêne ; on ne parle pas, et pour cause, des héritiers de Pradon. C’est ce même spectacle qu’on réserve au siècle prochain, avec cette différence qu’on jettera à ces héritiers une aumône insignifiante. Alors, comme aujourd’hui, la réponse des gens qui aiment la justice sera la même : « Laissez donc à ces enfants la propriété des œuvres de leur père ; ne dépensez pas tant d’esprit pour les mettre hors du droit commun. »