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TEXTES SURREALISTES

Philippe Soupault

J’ai peur que les nègres qui joignent les mains pour profaner le nom de Dieu ne sachent mieux que moi reconnaître la terre et le visage du ciel. La pluie, cette torture des jours de malheur, et ce grand vent qui tremble et qui se dresse,n’ont pas de prise sur ces grands corps plus noirs que la colère.Je n’oubliepas que quelques-unsd’entre eux ont comprisl’usage des flècheset de la mer, que d’autres ont saisi à la gorgele soleil.O géants du mystère : mes doigts qui ne savent pas, mes doigts pleins de votre sang sont d’inutiles rameaux.

Vous êtes forts, frères de la nuit, vous passez les jours dans le fil de la faim et de la guerre ; vous croyez au bois, à la pierre, au feu, mais vous aimez surtout rire de tout ce que vous enseignela joie. Un explorateur au long nez m’a raconté que dans le centre de l’Afrique existe un commerce florissant: la vente des enfants par leurs parents. Chaque année, au marché, ils amènent des petits et les débitent afin de les vendre plus rapidement. Le membre vendu est peint en blanc. La tête, ô sagesse,n’est paraît-il jamais achetée : elle est donnée au boucher comme prime.

Les enfants mis en vente savent qu’ils vont être mangés membrepar membreet l’explorateur m’a dit que ces petits souriaient en montrant leurs dents, ô sagesse, ô destinée, ô commerce. Je songe à ce sourire de celui qui sera mangé, au soleil qui chauffemollementleur dos et leurs mains, à ce soleil qui est du sang en flammeset à tout ce chemin qui reste à parcourir, petit temps, plus fin qu’un cheveu, plus fuyant que l’eau. Vapeurs, nuages, poussières. Inutile de citer ici une phrase latine.

Je songe à votre joie, ô nègres, qui préférez la chair humaine à notre désespoir. II

Elle est assisedevant son piano commedevant un miroir ; elle ferme les yeux, elle trempe les mains dans une écume de musique et son corps tout à coup va glisserdans le courant ; une source chante et bondit, ses doigts ont des reflets qui là-bas s’envolent sur les paysages. Elle penche la tête en arrière pour cueillir cle ses lèvres les meilleurs rayons et la peur de la mort. Ses yeux, qu’elle ouvre, planent commeles papillons du danger.

Elle ne joue pas pour les animaux du bon Dieu, elle se regarde dans un petit lac noir et blanc, pourpre et magique, dans un océan de fleurs et de galops.

11semble pour certains que le soleil se couche vers midi, pour d’autres que leur coeurmonte à leurs lèvres

Malaise des échelles, cercles des parricides, préméditation des crimes, aviation de chamrjre, noyades. Elle élève une main et porte jusqu’à son front le poids du sang et la simplicité des corolles.

  • OBSERVATION

PRÉSENTÉEPAR M. PHI-

LIPPESOUPAUI.T(AUTEUREN COLLABORATION AVECM. ANDRÉBRETONDES« CHAMPSMAGNÉ-TIQUES.

»)

Il sembleque, jusqu’à présent, Vaspect-du surréalismeque l’on a surtout— je iiose dire presque itniqiicmenl—étudiéest Vaspectverbalsi l’on peut ainsi s’exprimer.

Des observationsque j’ai recueillies on peut déduireque sous certainesiujlueiiees!’imagination desfaits peut aussi dictercertainsrécitsqui.quoique moins colorés, moins chatoyants, présentent des caractèreset offrentdes symptômes1resnets. D’autre part, des exemplessont à citer: ]° Celuide Raymond-Roussel.J’ai eu l’honneur et le plaisir d’entretenir l’auteur d’Impressions d’Afrique pendant une répétitionde L’Etoile au front. Je ne crois pas être téméraireen déclarant que Raymond Roussel écrit ses <canecdotes » {c’est-ainsi qu’il nommeles successionsde faits) connue nous avons écrit. André Breton et moimêmeLes Champs magnétiques.

2° CeluidePierre Souvesireet.de MarcelAllain, les auteurs de Fantômas, qui, de l’aven du dernier nommé, écrivirent les quelquevingt volumes de leur épopéeen dictant 14[quatorze)heurespar jour. Je mets an défi n’importequel écrivaind’écrire et à plus forte raison de dicterquatorzeheuressuccessivementet pendant plusieurs jours sans obéir à un automatismeabsolu.

Uexemplequ’à mon tour je proposesous le litre de L’Explorateur au long nez.est Unepreuved’un récit, d’une anecdoteimaginée.Je ne suis jamais allé en Afrique et personnene m’a raconté celtehistoire. Elle a été écriteen sept minutesenviron avant de partir pour Vexpositiondes Arts décoratifs oùje devaispour la deuxièmefoisen 48heures parcourir l’itinéraire du Gravity-Railway. Je nie permets, pour terminer, de demanderà quelques écrivains d’adresser à La Révolution Surréaliste des exemplesde récitsqu’ils pourraient écrire.