Page:La Révolution surréaliste, n05, 1925.djvu/19

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DECADENCE DE LA VIE ’7 CONVERSATIONAVEC LES PROPHÈTES • Moi. — Je n’aime pas les hommes parce qu’ils ont l’intelligence’ à leur image. Vous convenez que je suis sacrifié à la vengeance de l’humanité Ier prophète. — Venez avec nous, Monsieur, il n’y a pas de salut pour vous de ce côté-ci de la rivière. 2e prophète. — Il y a d’autres emblèmes sacrés que l’on donne aux poètes. Il y a des fétiches inoubliables que vous porterez sur votre front. Ier prophète. — Il ne faut pas se laisser aller à la dérive parce que tout le monde n’est’ pas fait à l’usage des poètes. Si votre, coeur éclate avant l’aube, n’oubliez pas de soigner votre coeur. Moi. — Mais je n’ai pas de Coeur,ie n’ai rien connu au monde qui puisse m’en tenir lieu. 7er prophète. — Ceci est inexact. Moi. — Oui, c’est inexact, je n’oublierai pas que les quelques étoiles qui volent de mes mains sont des parcelles d’âmes que j’aimai au hasard des terres accidentelles. 2e prophète. — L’amour est une légende inconnue des héros, parce que les héros sont vains, mais la terrible solitude des poètes, la solitude aux dents d’acier qui les mord nuit et jour, apporte dans sa brise des êtres nonpareils, des. femmes d’une beauté incomparable et les âmes s’en vont dans les précipices de toute pureté, follement désespérées, ô le manque d’audace ! Et le monde ne s’écoule plus avec l’ordre, le monde est un tombeau, une étrange mer peuplée de maladies purulentes puisque l’amour est sur les montagnes, dans les cortèges d’azur et dans les puits de sang. Et je souhaite qu’il y ait peu de mondesaussi désespérésque celui qui ne connaît pas l’amour ! Moi. — Alors les sentiers ne sont point mortels et les aiguilles de l’espace n’éprouvent point nos pas, les aiguilles sur lesquelles nous écorchons nos espoirs de neiges. Je songe ainsi à mes amis. Il y a déjà quelques années que je les vis pour la première fois au milieu des troubles de l’humanité sauvage. Et depuis lors j’ai appris bien des choses avec eux, j’ai fixé bien des rêves que mes faibles conceptions ne faisaient qu’entrevoir. Ainsi, par les routes sombres j’ai appris à ne pas déchoir devant la face du ciel. Avec eux nous allons dans les rues vides où passe le signe des temps à retrouver, nous allons avec les fantômes stigmatiser d’amères passions. O vanité, que ces paroles ! Aujourd’hui je ne vois rien de. large ni de grand dans l’espace, rien que des cendres qui appellent la mort, mon enfance fatale et creuse qui n’apporta jamais rien que la cruauté. C’est la réalité à la face de scie qui s’abat sur mon cou et qui m’indique de me taire. C’est le dégoût que je partage dans mon existence depuis tant d’années. Ainsi pourquoi ces mots vont-ils se perdre dans l’hécatombe des autres verbes, puisque toute mon ambition consiste à soigner ma damnation ! Après tout, mes amis, pourquoi m’avez-vous fait dire tant de choses? 11serait bien préférable que vous pleuriez à des paroles simples. LETTRES D’AMIS PREMI!’RE LETTRE Je suis, mon cher, perdu pour vous. Nul ici ne songe au réveil des morts ni même à ses ennuis, maisTONs’habille confortablement. L’ON aime aussi à se promener et à lire. L’instruction fait des progrès considérables dans le sens de la largeur. Ainsi,j’ai rencontré plusieurs squelettes avec des gants jaunes et des chapeaux de soie. Ne pourriez-vous aller demander au vestiaire du Etc.. si l’on n’a pas retrouvé mes yeux ? DEUXIÈME. LETTRE Vraiment quel délicieux passe-temps que dé faire sa correspondance au milieu d’un livre ! Si tous les romanciers le savaient, je suppose que le monde serait bien emmerdé. A part cela je cherche toujours le moyen de retrouver cette perle qui doit: voguer quelque part:sur les océans. TROISIEME LETTRE J’accorde peu de sens à la valeur de ma pensée qui de moins en moins tente quelques efforts. Est-ce que les Buttcs-Chaumont ont rencontré la terre ferme ? Je ne l’espère pas. Avec beaucoup de succès. Bien à vous. Jacques BARON.