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LE BIEN DU SIECLE

Le confortable dont la recherche apparaît fort légitime tant qu’il s’agit de l’installation d’un calorifère, d’une salle de bains, d’un W-C., on conçoit mal que puisse en avoir cure qui prétend se vouer à l’esprit. Et cependant des mots tels que Dieu, Amour, une boutade positiviste, des sourires épinglés, tous les artifices et précautions oratoires dont s’entourent ceux qui veulent être du débat et ne rien risquer, sont offerts comme autant de fromages à la fièvre grignotante des rats de laboratoire, de salon et de sacristie. Mais, à la vérité, elles ne manquent pas d’une lourde inquiétude les pirouettes de l’ours Bon Sens, et, déjà, la peur s’empare des plus prudents qui, avant l’inexorable « Rien ne va plus », se hâtent de faire leurs jeux, tant et si bien qu’ils misent tout de traviole. D’où la terreur de cet honnête homme classique, accoutumé depuis des siècles à pratiquer la politesse selon La Bruyère et à chercher des voluptés (délicates ?) dans les bibliothèques, les musées, les villes en ruines.

Or aujourd’hui, parce que des descriptions bien balancées, un effet de soleil sur trois vieilles colonnes et tous les procédés de l’art ne suffisent plus à légitimer les tartuferies d’une soi-disant civilisation, qui veut se divertir et en même temps prendre bonne opinion de soi, trouve difficilement de nouveaux prétextes à des joies amphibies. Sans doute après avoir promis une pâleur de chromo romantique, des sourires mauves, une anémie rageuse et des masturbations derrière les piliers de cathédrale, un Octave Feuillet petit pied (à la tienne, Étienne), avait-il eu l’amabilité de constater l’existence d’un nouveau mal du siècle. Mais le mal du siècle, pilule bien dorée, mieux lancé qu’un produit pharmaceutique, offert, gros ou détail, aux courriéristes littéraires des quotidiens, aux critiques distingues des revues, son inventeur, en dépit de ses incantations, de ses cris, une main sur le cœur à Dieu, éternel tourment des hommes, n’a tout de même pas été capable de nous dire de quoi s’autorisait sa pharmacopée, non plus que de quel critérium il partait, pour accuser un mal dans la révolte des esprits qui ne croient pas et n’acceptent pas de faire semblant de croire que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il faut avoir un singulier amour du paradoxe et une outrecuidance capable des plus sinistres calembredaines pour parler de faiblesse dès qu’une pensée ne permet plus qu’on l’asservisse et s’oppose à la quasi universelle lâcheté.

Feindre de voir un malaise dans la colère d’un esprit qui brise les entraves quotidiennes et sociales, ce serait, par déduction, s’engager à déclarer des hommes tels que Rousseau, Luther, moralement et intellectuellement inférieurs aux cuistres pudibonds, aux critiques peureux auxquels ils ont accoutumé de donner la jaunisse.

Mais, tandis que des momies inoffensives se dessèchent dans les bandelettes du droit canon, se nourrissent du pain d’épice des musées ou de quelque vieille couenne conventionnelle, d’autres qui pourtant ont la fierté de leur jeunesse, avec des airs entendus dans la crainte d’être dupes du relatif, ne font qu’aider au triomphe du médiocre. D’ailleurs, sans doute ne parviennent-ils point à se convaincre eux-mêmes puisqu’ils blâment l’esprit de Révolution dans ce siècle, ils louent comme les meilleures d’aujourd’hui les œuvres où cet esprit se trouve le plus parfaitement exprimé.

La grandeur de l’esprit s’arc-boutant pour briser ses chaînes les surprend, les effraie et trop profondément touchés par cette grandeur qu’ils voudraient nier, continuant ce sabotage des valeurs qui a fait nommer mal du siècle ce qui tout au contraire est le seul bien du siècle, ils essaient de voir l’origine de cette ascension, de cette soif d’absolu, dans des détails honteux. Ainsi avons-nous pu lire dans une Revue que le service militaire, la vérole, le manque d’argent étaient les trois causes du phénomène spirituel contemporain. Dès lors je me demande comment l’auteur de cette boutade (au reste, le seul qui ait dû s’y laisser prendre) peut faire pour daigner encore parler ou écrire pour une espèce qu’il juge si grossièrement terrestre qu’elle ne saurait selon lui avoir d’inquiétudes que dans les courants d’air d’un corps de garde, les taudis et les chancres ? À noter d’ailleurs que cette plaisanterie de collège est au fond un jeu verbal, du même ordre que l’invocation déjà citée à Dieu, éternel tourment des hommes, dont on a tenté de nous faire une scie rappelant un peu des phrases comme : As-tu vu Lambert ; ou Ils ont du poil aux pattes les Zomards. Il est décidément trop facile de se payer de mots. On met Dieu à la mode, mais, qu’est-ce que Dieu ? Quand Drieu La Rochelle interviewé déclare : « Dieu veut dire ce réalisme, cet optimisme, sorti du pessimisme » j’ai tout juste envie de répondre que pour qui se soucie de l’esprit, les notions de bonheur ou de malheur, donc de pessimisme ou d’optimisme, sont quantités négligeables. Sans doute les quatre lettres de Dieu sont-elles encore lourdes de tout ce dont on a voulu les charger au cours des siècles, pour qu’elles puissent projeter une ombre douce sur le sommeil de ceux qui en ont assez de se tracasser et tout de même conservent la manie métaphysique aussi française que le gigot aux haricots. Mais quand le même Drieu La Rochelle entend épiloguer sur l’Erreur des surréalistes et cons-