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LE SURREALISME

ET LA PEINTURE

{Suite)

Braque1013.

Longtemps, je pense, les hommes éprouveront le besoin de remonter jusqu’à ses véritables sources le lleuve magique qui s’écoule de leurs yeux, baignant dans la même lumière, dans la même ombre, hallucinatoires les choses qui sont et celles qui ne sonl pas. Sans toujours bien savoir à qui ils en doivent la troublante découverte ils placeront une de ces sources très haut au-dessus du sommet de toute montagne. La région où se condensent les vapeurs charmantes de ce qu’ils ne connaissent pas encore et de ce qu’ils vont aimer, cette région leur apparaîtra dans un éclair. Qui sait, peut-être là encore, établiront-ils leurs comptoirs misérables, se multiplieront, s’extcrtninéront-ils, et n’auront-ils d’autre envie que de revenir d terre après avoir pillé ! Alors s’il reste au monde, à travers le désordre du vain et de l’obscur, une seule apparence de résolution parfaite, de réduction idéale à un point de tout ce qui a bien voulu se proposer et s’imposer à nous à l’époque lointaine de notre vie, je ne demande pas mieux que ce soient,les vingt ou trente tableaux dont nous avons l’ait les seuls rivages heureux de notre pensée,

heureux sans y penser,

heureux qu’après tout il y ait des rivages. Tu me quittes donc, pensée ? Je vis, mais sais-je au juste à quelle époque ? Les côtes septentrionales de l’Australie furent très probablement découvertes au xvic siècle par les Portugais, puis oubliées. Me faut-il donc croire que tout a commencé avec moi ? Ils furent tant d’autres, attentifs à ce cliquetis de lances blondes sous un ciel noir, mais

où sont les Batailles d’Uccello ? Et que nous en est-il parvenu ? Près de nous au contraire tout milite en faveur de ce qui ne s’était pas encore produit, de ce qui ne se reproduira pas. Dans le cadre de ces bras qui retomberont le long de mon corps s’inscrivent des scènes toujours poignantes pour peu que

je sois sûr d’en être le premier et le dernier témoin.

La Révolution, sur la définition de laquelle on ne peut aujourd’hui que s’entendre, nous la verrons et elle aura raison de nos scrupules. C’est devant elle et seulement devant elle que je juge utile d’assigner les meilleurs des hommes que je connais. La responsabilité des peintres comme de tous ceux à qui est échu en redoutable partage d’empêcher, dans le mode

d’expression qu’ils servent, la survivance du signe à la chose signifiée, à l’heure actuelle cette responsabilité me paraît lourde et en général assez mal supportée. L’éternité est pourtant à ce prix. L’esprit, comme sur une pellire d’orange, glisse sur cette circonstance qui a l’air fortuite. Un secours mystérieux, et le seul qui importe, fait défaut à ceux qui n’en veulent pas tenir compte au moment où ils s’y attendent le moins. La portée, révolutionnaire d’une oeuvre, ou sa portée tout court, ne saurait dépendre du choix des éléments que cette oeuvre met en jeu. De là la difficulté d’obtention d’une échelle rigoureuse et objective des valeurs plastiques en un temps où l’on est sur le point d’entreprendre une révision totale de toutes les valeurs et où la clairvoyance nous oblige à ne reconnaître, d’autres valeurs que celles qui sont de nature à hâter cette révision.

En présence de la faillite complète de la critique d’art, faillite tout à l’ait réjouissante d’ailleurs, il n’est pas pour nous déplaire que les articles d’un Raynal, d’un Vauxcelles ou d’un Fels passent les bornes de l’imbécillité. Le scandale continu du cézannisme, du néo-académisme ou du machinisme est incapable de compromettre la partie à l’issue de laquelle nous sommes vraiment intéressés. Qu’Utrillo «se vende » encore ou déjà, que Chagall arrive ou non à se faire passer pour surréaliste, c’est l’affaire de ces messieurs les employés de l’Epicerie. Il est certain que l’étude des moeurs auxquelles je me contente de faire allusion, si elle ne pouvait être menée à bien, serait profondément édifiante mais il est oiseux que je m’y livre ici, d’autant que ces moeurs sont en parlait accord avec toutes celles dont la dénonciation, dans un domaine plus général, se poursuit. Du seul point de vue de l’esprit il s’agit uniquement de savoir à quoi peut-être attribuée la défaillante incontestable de certains artistes qui.