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la question de l’analyse

d’œil ce qui constitue un trouble « nerveux » d’une part, un « moi » entravé dans sa synthèse, sans influence sur une partie du « soi », devant renoncer à exercer une part de son activité afin d’éviter un heurt nouveau avec ce qui est refoulé, s’épuisant dans un vain combat contre les symptômes, rejetons des aspirations refoulées ; d’autre part, un « soi », au sein duquel des instincts isolés se sont rendus indépendants, poursuivent leurs buts à eux sans égard aux intérêts généraux de l’être, et n’obéissent plus qu’aux lois de la psychologie primitive qui commandent dans les profondeurs du « soi ». Voyons-nous les choses de haut, alors la genèse des névroses nous apparaît sous cette formule simple : le « moi » a tenté d’étouffer certaines parties du « soi » d’une manière impropre, il y a échoué et le « soi » se venge. La névrose est donc la conséquence d’un conflit entre le « moi » et le « soi », conflit auquel le « moi » prend part — un examen approfondi le démontre — parce qu’il ne peut absolument pas renoncer à sa subordination aux réalités du monde extérieur. L’opposition est entre le monde extérieur et le « soi » et puisque le « moi », fidèle en cela à son essence intime, prend parti pour le monde extérieur, il entre en conflit avec son « soi ». Mais prenez-y bien garde : ce n’est pas le fait de ce conflit qui conditionne la maladie — de tels conflits entre réalité et « soi » sont inévitables et l’un des devoirs constants du « moi » est de s’y entremettre — ce qui cause le mal est ceci : le « moi » se sert, pour résoudre le conflit, d’un moyen insuffisant, le refoulement. Mais la cause en est que le « moi », quand cette tâche s’offrit à lui, était peu développé et sans force. Tous les refoulements décisifs ont en effet lieu dans la première enfance.

« Quels curieux détours ! Je suis votre conseil, je ne critique pas, vous voulez donc seulement me montrer ce que la psychanalyse pense de la genèse des névroses, afin d’y rattacher ce qu’elle entreprend pour les guérir. J’aurais plusieurs questions à poser, j’en poserai quelques-unes plus tard. Je serai d’abord tenté de suivre vos traces, de tenter à mon tour une construction hypothétique, une théorie. Vous avez exposé la relation Monde extérieur — Moi — Soi et établi, comme condition essentielle des névroses, ceci : le « moi », restant dans la dépendance du monde extérieur, entre en conflit avec le « soi ». Le cas contraire ne serait-il pas concevable ? dans un tel conflit le « moi » se laissant entraîner par le « soi » et renonçant à considérer d’aucune façon le monde extérieur ? Qu’arrive-t-il alors ? Je ne suis qu’un profane, mais d’après les idées que je me fais sur la nature d’une maladie mentale, une telle décision du « moi » en pourrait bien être la condition. L’essentiel d’une maladie mentale semble donc être qu’on se détourne ainsi de la réalité. »

Oui, j’y ai pensé moi-même, et je le crois juste, bien que la démonstration de cette idée exige la mise en discussion de rapports fort enchevêtrés. Névrose et psychose sont évidemment apparentées de très près et doivent cependant, en quelque point essentiel, diverger. Ce point pourrait bien être le parti que prend le « moi » en un tel conflit. Et le « soi », dans les deux cas, garderait son caractère d’aveugle inflexibilité.

« Poursuivez, je vous en prie. Quelles indications donne votre théorie pour le traitement des névroses ? »

Notre but thérapeutique est maintenant aisé à déterminer. Nous voulons reconstituer le « moi », le délivrer de ses entraves, lui rendre la maîtrise du « soi », perdue pour lui par suite de ses précoces refoulements. C’est dans ce but seul que nous pratiquons l’analyse, toute notre technique converge vers ce but. Il nous faut rechercher les refoulements anciens, incitant le « moi » à les corriger, grâce à notre aide, et à résoudre ses conflits autrement et mieux qu’en tentant de prendre devant eux la fuite. Comme ces refoulements ont eu lieu de très bonne heure dans l’enfance, le travail analytique nous ramène à ce temps. Les situations ayant provoqué ces très anciens conflits sont le plus souvent oubliées, le chemin nous y ramenant nous est montré par les symptômes, rêves et associations libres du malade, que nous devons d’ailleurs d’abord interpréter, traduire, ceci parce que, sous l’empire de la psychologie du « soi », elles ont revêtu des formes insolites, heurtant notre raison. Les idées subites, les pensées et souvenirs que le patient ne nous communique pas sans une lutte intérieure nous permettent de supposer qu’ils sont de quelque manière apparentés au « refoulé », ou bien en sont des rejetons. Quand nous incitons le malade à s’élever au-dessus de ses propres résistances et à tout nous communiquer, nous éduquons son « moi » à surmonter ses tendances à prendre la fuite et lui apprenons à supporter l’approche du « refoulé ». Enfin, quand il est parvenu à reproduire dans son souvenir la situation ayant donné lieu au refoulement, son obéissance est brillamment récompensée ! La différence des temps est toute en sa faveur : les choses devant lesquelles le « moi » infantile, épouvanté, avait fui, apparaissent souvent au « moi » adulte et fortifié comme un simple jeu d’enfant.

Sigmund Freud.