Page:La Révolution surréaliste, n09-10, 1927.djvu/37

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CORPS À CORPS

Se réveiller dans le fond d’une carafe abruti comme une mouche, voilà une aventure qui vous incite à tuer votre mère cinq minutes après votre évasion de ladite carafe. Et c’est ce qui m’est arrivé un matin. Aussi qu’on ne s’étonne pas si maintenant j’ai la tête en forme de fleur de pissenlit et si mes épaules retombent sur mes genoux. Cependant, lorsque je me réveillai, j’imaginai pendant les premières minutes que j’avais toujours vécu au fond de la carafe et il est probable que je le croirais encore si je n’avais aperçu de l’autre côté de la carafe une sorte d’oiseau qui la frappait rageusement à coups de bec. Grâce à lui je compris ce que ma situation avait d’accidentel et fâcheux et je fus pris d’une grande colère. Je saisis une feuille desséchée qui se trouvait auprès de moi et me l’enfonçant dans la narine gauche, je criai : « Est-il possible que le chien soit l’ami de l’homme ? Est-il vrai que l’escargot soit l’ennemi de la tortue ? » Et du haut de la carafe une fêlure du verre murmura : « Pauvre idiot ! Les ennemis ne sont pas ce qu’un vain peuple pense. Ils ont de la barbe et leur cervelle se compose de débris de celluloïd et d’épluchures de pommes de terre. Les amis ont la tête en verre et mordent comme une courroie de transmission. » Mais j’insistai :

— Est-il vrai que les mouches ne meurent pas sur les aiguilles des pendules ? Est-il vrai que la paille de riz serve à la confection des quenelles ? Est-il vrai que les oranges surgissent des puits de mine ? Est-il vrai que la mortadelle est faite par les aveugles ? Est-il vrai que les cailles se nourrissent de brebis ? Est-il vrai que les nez s’égarent dans les forteresses ? Est-il vrai que les salles de bains dépérissent dans les pianos ? Est-il vrai que l’expression « se mettre au vert » ne signifie pas avoir les pieds gelés ? Est-il vrai que dans les chambres noires on n’entende jamais la chanson des rêves ?

Il se fit alors un grand bruit comme celui d’une casserole tombant et rebondissant dans un escalier de pierre et une petite ouverture se fit dans ma prison. Elle ne devait pas, grâce à moi, tarder à s’agrandir jusqu’à prendre les proportions d’un tunnel de chemin de fer à l’entrée duquel apparaissait une petite bête qui ressemblait à la fois à une sardine et à un papillon. Je n’étais plus seul et, par suite, j’avais moins hâte de quitter cette carafe que je commençais à trouver très hospitalière. Pour un peu, j’aurais demandé à la sardine-papillon de vivre avec moi, ce qu’elle ne m’aurait peut-être pas refusé, car elle semblait très douce et très aimable. Je ne me risquai cependant pas à lui faire, cette proposition que d’aucuns trouveront étrange, quoiqu’il n’y ait rien là-dedans de plus extraordinaire que de jeter un pavé du haut d’un sixième étage dans une rue remplie d’une foule affairée, dans l’espoir de tuer quelqu’un. Mais le monde est ainsi fait que vivre avec une sardine-papillon est plus scandaleux que de vivre seul dans une carafe. Et cependant je ne fis aucune proposition à cette charmante bête qui me plaisait tant. C’est que, pénétrant dans la carafe, ses ailes tombèrent, sa queue disparut ainsi que ses nageoires, une étincelle suivie d’un petit nuage de fumée s’échappa de sa tête et je ne vis plus à sa place qu’une borne kilométrique sur laquelle on lisait : Scorpion, 200 km 120. De nouveau j’entrai dans une violente colère et saisissant la borne kilométrique je la lançai à toute volée contre ma prison de verre. À mon grand étonnement, la borne kilométrique perça la carafe et vint deux ou trois fois rebondir sur sa paroi extérieure avant de la réduire en miettes. C’est alors que j’eus la surprise de me trouver étendu sur le dos dans un champ de blé. Au mouvement que je fis pour me dresser sur mes pieds, une vingtaine de perdrix s’envolèrent de mes poches, où elles devaient gîter depuis longtemps, — quoique je ne m’en fusse pas aperçu — puisqu’elles y laissèrent un grand nombre d’œufs dont plusieurs éclorent dans ma main.

Remis de ma surprise je songeai qu’un champ de blé en valait bien un autre, du moins dans l’état actuel des choses et je résolus que désormais il n’en serait plus ainsi. Non sans peine, je réussis à reprendre la position verticale pour laquelle j’étais né et lançai de tous côtés des jets de salive qui s’enfuirent à tire-d’ailes, poursuivis par les coups de fusil de chasseurs invisibles. Je montai dans le sillon en prenant bien garde de ne pas écraser de jolies petites taupes blanches qui prenaient le frais à l’air libre et s’en réjouissaient naïvement. Il est vrai qu’elles avaient si rarement ce plaisir ! Elles étaient si contentes que, quoique je fusse pour elles un inconnu, elles ne pouvaient se retenir de me confier leur histoire. Ce fut une toute petite taupe blanche avec des ailes de libellule qui parla :

HISTOIRE DE LA TAUPE BLANCHE

Telle, que vous me voyez, je suis née, dans une boite à cirage. Mon père était marchand de marrons et ma mère une truie. Comment cela se fît-il ? Je ne saurais le dire. Mon père était un grand homme maigre comme un caillou à l’exception de sa tête qui était bien la plus grosse qu’on put