Page:La Révolution surréaliste, n09-10, 1927.djvu/55

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une réalité. La garantie-or, idée statique émise par Adam Smith, n’est plus en rapport avec la signification faustienne de la monnaie. De même « dans l’objet manufacturé Marx ne voit que le produit d’un labeur matériel, et non le résultat d’un effort intellectuel d’invention ou de réalisation ». Aujourd’hui « l’argent se crée d’un trait de plume sur un livre de comptes… la garantie morale est tout… le crédit d’un État c’est la confiance qu’il inspire, ce sont ses capacités, ses plans, ses destinées. »

L’impôt n’est pas une charge : « il en était une au temps où pressurées par la noblesse, les classes pauvres corvéables à merci alimentaient le trésor… aujourd’hui que l’individu est protégé par les lois, instruit gratuitement, assisté en cas de maladie, secouru par mille mesures d’assurance, d’hygiène, de prévoyance sociale, il acquitte en payant ses impôts une simple dette ». Il est injuste de le faire retomber sur les patrons, les propriétaires, on crée ainsi « la ruine d’honnêtes citoyens qui étalent leur bien au soleil, de petits rentiers qui n’ont jamais songé à tromper le fisc, des familles bourgeoises où la culture est héréditaire comme la probité et qui, par leur attachement au sol, leurs vertus patriotiques forment l’armature de la nation ». Spengler propose un système fiscal : 1o Impôt d’utilisation sur les choses visibles susceptibles de produire un revenu ; 2o Impôt par tête de salarié ; 3o Impôt sur l’habitation ; 4o Impôt sur le produit du capital et non sur le revenu ; 5o Maintien des impôts sur le tabac et l’alcool. Ce système se recommande par les avantages suivants : plus d’impôts sur le revenu, le salaire, l’héritage, la fortune acquise, etc., réduction de la paperasserie, impossibilité de la fraude, etc. Remarquons le curieux maintien des impôts indirects de consommation, vieille idée apollinienne, la conscience de Faust ne nourrirait pas l’État sans l’apéritif et la pipe du cher homme. Cependant si le droit romain n’est plus en accord avec l’âme faustienne, c’est qu’il ne s’y agit que de personnes matérielles, physiques, mais ni de devenir, ni de destin. On se forme de la propriété une idée archaïque : il y a un lieu psychique entre le possesseur et la chose possédée, la richesse est une qualité de l’individu. L’héritier continue l’effort intellectuel de l’aïeul. « L’État commet aux individus qui savent s’en rendre dignes par leur intelligence et leur travail une parcelle de la fortune publique… il attend d’eux qu’au lieu de sacrifier l’État à leur égoïsme, ils adaptent à l’époque nouvelle à l’ère du capitalisme l’antique devise de la noblesse et prennent pour mot d’ordre : richesse oblige[1] ».

Il s’agit de préparer les jeunes Allemands à leurs destinées par la lecture des journaux, les études commerciales, etc., sous le contrôle des données de la morphologie historique. La réforme des écoles, du professorat, des examens selon les nécessités historiques sera parachevée par l’ouverture de collèges d’État : « Les jeunes gens les mieux doués y mèneraient dans un beau site une vie de sport, de liberté et de méditation. Les plus grands hommes de l’Allemagne prendraient certainement plaisir à venir de temps à autre causer avec eux… »

La politique extérieure conditionne la politique intérieure. L’État prussien doit réaliser le socialisme qui correspond à notre stade de civilisation. La doctrine prussienne s’oppose au marxisme négatif et le concilie avec le nationalisme, étant à la fois impérialiste, nationaliste et socialiste. L’impérialisme est le propre de l’homme faustien, qui est aussi nationaliste, car les hommes appartiennent à leur temps, à leur nation, l’homme en soi n’existe pas. Le socialisme d’État est la doctrine de la dynastie des Hohenzollern qui a créé la nation allemande. Le prolétariat allemand (notion qui surgit ici tout à coup) doit réaliser l’idée des Hohenzollern ou périr. Ici nouvelle attaque contre le marxisme. « Le messianisme juif qu’il s’appelle bolchevisme ou spartacisme est redoutable : car les Juifs dont la civilisation est révolue sont pour ainsi dire étrangers à l’histoire[2] : comment dès lors attendre d’eux des formules sociales et le mot d’ordre adapté aux nécessités de l’heure ? » Quatrième tour de passe-passe par lequel Spengler confisque définitivement le devenir. Plus de luttes de salaires ! « Grève et lockout ne peuvent mener à rien : patrons et salariés sont des associés qui, s’ignorent. Née dans une capitale assiégée, en pleine crise politique, la doctrine mesquine, haineuse, et surtout naïve, des communards de 1871, a trop longtemps égaré, comme le marxisme », (mais qui, de M. Fauconnet ou de Spengler, ignore à ce point l’histoire ?) « la démocratie allemande ». L’État tranchera les conflits, créera une banque qui répartira les salaires entre ouvriers, d’après leur ancienneté, leurs charges de familles, la qualité de leur travail. Le travailleur fonctionnaire ne peut plus être révolutionnaire. Tout l’échafaudage de la morphologie historique pour servir à tirer cette épine du pied de l’État ! Cette

  1. (Cf. Drieu La Rochelle : Le Capitalisme coupe l’herbe sous le pied au communisme (Les Derniers jours, Cahier politique et littéraire du 15 février 1927). Une nouvelle psychologie du capitaliste, administrateur intègre qui s’est pris au jeu de sa machine, est au fond de toutes les idéologies, qui tentent de s’opposer au marxisme.
  2. Comme qui dirait des plantes étrangères à la botanique, faute de les avoir inscrites dans son manuel.