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mieux et moins bien

suite de n’importe quelle tentative, de n’importe quel mécompte, et perd vite son efficace.

En cette matière, seules des ressources vivantes permettent d’arracher au pessimisme un sens qui soit à la mesure des années accumulées à nos pieds. Il faut organiser le pessimisme ; ou plutôt, puisqu’il ne s’agit que d’obtempérer à un appel, il il faut le laisser s’organiser dans la direction du prochain appel.

Mais pour quelle poursuite il faut l’organiser maintenant, c’est une question qui ne se posera que plus tard, et encore ne se posera-t-elle que pour ceux qui nous auront suivi jusque là, c’est-à-dire pour quelques rares personnes subissant des tentations toujours diverses.

On a voulu ne nous accorder qu’un pouvoir de désagrégation assez perfectionné, tendant par conséquence à la solution pure, on a même parlé de dégénérescence caractérisée. Du mouvement Dada, ce « vieux monstre légendaire », mais enfin ce monstre, et très proche des solutions extrêmes (?), on serait descendu au surréalisme, tentative plus vulgaire de polarisation « artistique », encore alimentée d’excès mais présentant, par son expression même, des garanties. Enfin, ce pouvoir de désagrégation aidant, on sombre dans le matérialisme vulgaire, l’appétit de scandale à bon marché, le communisme ! Tel est le panorama que se sont scrupuleusement imaginés les imbéciles.

Mais tout ceci témoigne d’un bien pauvre pouvoir d’abstraction, et d’une manière extérieure, par exemple celle de l’épicier ou celle de l’Anglo-Saxon, de considérer toute chose. Parler de désespoir à notre sujet ? Personne ne veut y songer sérieusement. Alléguer la bonne foi et l’avidité morale ? Même pas. Il ne reste plus qu’à nous confier aux articles de revues avec le motif suivant : Conséquences de l’inflation et de la chute du franc, qui disparaîtront après la médecine de M. Poincaré. Les pourceaux sont toujours loin de compte.

C’est que la véritable impossibilité d’en passer par des explications pour les confondre et éclairer du même coup notre position — qui est bien entendu une position supérieure — tient au caractère subjectif de ce développement, aux « sommations » personnelles auxquelles chacun de nous est, ou a été, en butte, aux relations réciproques de nos solitudes. On s’étonne de voir s’aligner des refus de s’expliquer avec des définitions. On crie au paradoxe. On discute le procédé. On montre, en réalité, son incapacité d’identifier ce fameux point de vue surréaliste, et avec lui un grand nombre de possibilités qui s’inscrivent dans des mots aussi grands que ceux, entre autre, de : pessimisme, optimisme, marxisme, morale.

Drieu la Rochelle, qui fit intervenir l’amitié pour suppléer au reste, est obligé de se retirer dans sa solitude. Et il le fait après avoir rappelé la proposition de Breton « je serai seul, bien seul en moi ». Il a donc quelque notion du subjectivisme développé par beaucoup à l’ombre du surréalisme, et il ne tente pas de franchir les limites de cette ombre. Cela ne l’empêche pas ensuite, comme nous l’avons noté, de nous convier à la création artistique, le plus risible de nos soucis — j’en parle peut-être en négligeant la faiblesse de quelques amis incapables de sacrifier leur talent, ni d’atteindre au génie, mais de toute manière j’en parle à bon droit.

Les programmes n’ont jamais fait notre affaire. Les déclarations nous ont peut-être un peu servi, mais en dehors, très en dehors du but atteint par elles. C’est-à-dire que la vertu de certains noms périodiquement réunis réside dans la volonté de passer, quelques heures, par dessus des différences souvent profondes. Et c’est justement à partir de là qu’on prétend nous demander des comptes !

Si nous avons pu nous entendre ces quelques heures dit-on, pourquoi ne le pourrions pas toute la vie ? Et puis, alors, pourquoi ne passerions-nous pas notre temps à nous entendre avec n’importe qui ? Si bien que l’on nous crie : fixez-vous ! Entendez-vous avec l’un ou avec l’autre, avec les communistes si vous voulez, mais que ce soit pour la vie !

Certes, tout en nous est pour la vie, et si nous ne définissons pas une doctrine, ni une pratique, c’est que même notre incapacité d’accéder à une seule face du pessimisme est pour la vie.

J’ai dit le rôle du tempérament. Ceux d’entre nous dont les capacités s’étendent jusqu’à la pratique révolutionnaire sont les meilleurs, ce sont eux qui sont le plus à même de se survivre noblement, ce sont ceux, qui pensent ne pas abandonner l’espoir que la victoire, un jour, jaillira ? Peut-être.

Mais ce qui nous permet d’augurer dès aujourd’hui nos futures défaites, c’est justement notre désir et notre certitude d’atteindre à la limite de nos propres forces, n’importe quand. Ceux qui sont morts à l’âge de 20 ans n’ont pas plus empêché le rêve de se poursuivre, que ceux qui sont morts à 70 ans, et nous n’avons pas la naïveté de voir la fin du monde au bout de notre nez.

Ici le ruisseau s’enlise, et risque de disparaître dans le sable, en laissant surnager à l’orient un immense mirage. Bientôt nous