Page:La Révolution surréaliste, n09-10, 1927.djvu/67

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tains signes astrologiques (dont le principal est l’hiéroglyphe mercuriel dérivé du point central ou IOD générateur) disposés selon un ordre et des mesures déterminés, est vraiment « l’Unité éprouvée des Images », la « monade unitissime » dans laquelle se condense toute la diversité de l’univers : destin métaphysique de l’Homme, mouvement et influences des astres, formule des miroirs ardents, germination et mort des êtres, formation de la terrible Pierre, appelée DARR dans le langage des anges[1].

Dans cet étrange ouvrage, où pointe çà et là le pic obscur de quelque mythe relatif au Grand-Œuvre alchimique (l’Œuf et le Scarabée, le Phénix, le jardin des Hespérides, l’Homme-de-toutes-les-heures), la croix, signe des quatre éléments, à la fois ternaire et quaternaire (2 lignes qui se coupent et leur point d’intersection, — 4 lignes droites comprenant 4 angles droits), est le lieu des métamorphoses. C’est d’elle que l’on déduit le nombre 252 qui symbolise la Pierre, la lettre L que l’on prononce comme le nom hébreu HEL qui veut dire Dieu, et le mot latin LVX, Lumière, formé des trois lettres V = 5, X = 10, L = 50, « Verbe final et magistral (par cette union et conjonction du Ternaire dans l’Unité du Verbe) ». Cependant, le rôle primordial revient au IOD phallique, au point générateur qui marque le centre de la croix.

Outre cette théurgie (qui ne cesse jamais du reste d’être étroitement liée à la recherche de la Pierre Philosophale, entre le Christ et qui John Dee établit une corrélation), l’auteur, — toujours par cette méthode de pensée si parfaitement différente de la logique occidentale moderne, — décrit comment se meuvent les particules de la matière, quelles opérations chimiques président à la formation de la Pierre et quelle forme il convient de donner aux vases[2] et instruments qui seront employés, tout cela rigoureusement déduit de la figure monadique, dont il enseigne, d’autre part, la construction géométrique précise. C’est autour de la recherche philosophique que gravite tout le livre et le passage suivant de Khunrath (1560-1605), dans l’Amphitheatrum Sapientiæ æternæ, en définit pour nous la portée :

« Ce qui dans la kabbale est l’UNION avec DIEU de l’homme réduit à la simplicité de la Monade, est la même chose, en Physico-Chimie, que la FERMENTATION de notre Pierre glorieuse et plus que parfaite avec le Macrocosme dans ses parties. — Et : de même que l’homme uni à DIEU, en raison de DIEU est presque un dieu humain ou un homme divin, c’est-à-dire presque DÉIFIÉ, et, pour cette raison, peut tout ce qu’il veut, puisque c’est ce que veut DIEU LUI-MÊME ; de même la PIERRE des PHILOSOPHES fermentée avec le Monde majeur dans ses parties, en raison de ce ferment, se transforme en ce qu’elle voudra et opère diversement tout en tout, suivant les natures diverses de chaque chose ; et elle coégalera toutes choses totalement, singulièrement et universellement. »

Véritable Pierre de scandale et de sacrilège pour le logicien et le théologien modernes (en admettant que ces taupes daignent tenir sérieusement compte de l’existence d’un pareil livre), l’opuscule de John Dee, par sa matière, par son langage, par l’ordonnance mystérieusement préméditée de ses parties, constitue un objet profondément troublant. L’action presque magique qu’il exerce sur l’esprit fait qu’on peut le tenir pour réalisant, dans le domaine de l’écriture, quelque chose d’analogue à cet absolu concrétisé, à ce véhicule de capacités secrètes que les anciens alchimistes, et son auteur lui-même, poursuivaient, dans le domaine de la Nature, sous forme de Pierre Philosophale. Les schémas qui l’illustrent, à travers les multiples changements de leur interprétation, loin de rester figées, s’animent d’une inquiétante vie.

« Horizon du Temps », — « Horizon de l’Éternité », — « Ténèbres. Sérénité cristalline. Citrinité. Anthrax », chacun de ces termes descelle une dalle qui murait un fantôme dans une des caves de l’entendement, mais cependant ce livre demeure obstinément clos…

« Intellectus judicat veritatem. Contactus ad punctum. — Ici l’Œil vulgaire ne verra qu’obscurité et désespérera considérablement.» [John Dee. Monas Hieroghyphica. Anvers, l’an 1564.]

Michel Leiris.



REVUE DE LA PRESSE


Un journal se paie le même prix qu’un soldat, ce qui est une façon commode de faire rendre au civil l’aumône faite au militaire. Parfois, une aubaine se présente. La profanation d’un des leurs allèche tellement tous les soldats inconnus que, ce jour là, les journalistes y gagnèrent un splendide bifteck, et la police de la gnole à discrétion. Les gros tirages, les éditions spéciales, les galons de brigadier, les hémorroïdes à la boutonnière, les petits plaisirs solitaires des magistrats, les suggestions ridicules des jean-foutre de gauche (*) et les hoquets glaireux des journalistes de droite, les défilés expiatoires, tous les bénéfices malodorants, toute la gloriole sucée et resucée, tout le bien-être de la vermine humaine, en attendant… Mais il n’y aura jamais de révolutionnaires satisfaits. À jamais, cette bassesse leur est interdite. Le sentiment de la justice est infini, la colère a les yeux purs et les mains vides.

Deux hommes venaient d’être assassinés honteusement, tout ce qui mérite de vivre au monde se révoltait contre la hideuse injustice habituelle, contre toutes les raisons quotidiennes qu’on avait de les tuer, et répondait par la violence à la provocation que ce crime constituait. La racaille américaine faisait, pour la défense du capitalisme contre le communisme, étalage de sa force en exhibant les cadavres suppliciés de Sacco et Vanzetti. La France à face de hyène, vomissant les 1.700.000 morts qu’elle a mangés, pour ne pas payer ses dettes, interdisait toute manifestation, saoulait ses flics abrutis pour arrêter l’élan de la foule indignée, et décrétait fête nationale le


(*) Dans « Paris-Soir » du 5 septembre, Séverine écrit :

« Et si… on le montait au sommet de l’Arc de Triomphe. Et ne m’objectez pas la montée. C’est elle qui s’interposera entre les autorités et les profanes, les fantaisistes et les dévots. Le chemin du Paradis doit être encore bien plus malaisé à gravir… »

  1. Ce nom angélique de la Pierre fut révélé par une apparition à John Dee et à Edward Kelly son médium, ainsi qu’il le relate dans A true and faithful relation of what passed for many years between Dr John Dee and some spirits (publié en 1659).
  2. L’un figurera un alpha, l’autre un oméga