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UN CHIEN ANDALOU

munies d’une petite clef ouvrent la boîte de laquelle elles retirent une cravate enveloppée dans du papier de soie. Il faut tenir compte de ce que le pluie, la boîte, le papier de soie et la cravate doivent se présenter avec des raies obliques dont, seule, la largeur varie.

La même chambre.

Debout à côté du lit, se trouve la jeune fille qui contemple les accessoires que portait le personnage — mantelets, boîte, et col dur avec cravate foncée et unie — le tout disposé comme si ces objets étaient portés par une personne étendue sur le lit. La jeune fille se décide enfin à prendre en mains le col, duquel elle enlève la cravate unie pour la remplacer par la rayée, qu’elle vient de retirer de la boîte. Elle la replace, au même endroit puis s’assied tout près du lit, dans l’attitude d’une personne qui veille un mort.

(Nota. — Le lit, c’est-à-dire la couverture et l’oreiller, sont légèrement froissés et creusés comme si, réellement, un corps humain y reposait).

La femme a la sensation que quelqu’un se trouve, derrière elle et se retourne pour voir qui c’est. Sans le moindre étonnement, elle voit le personnage, sans aucun accessoire cette fois, qui observe avec grande attention, quelque chose dans sa main droite. Dans cette grande attention il entre pas mal d’angoisse.

La femme s’approche et regarde à son tour ce qu’il a dans la main. G. P. de la main, au centre de laquelle grouillent des fourmis qui sortent d’un trou noir. Aucune de ces dernières ne tombe.

Renchaîné avec les poils axillaires d’une jeune fille étendue sur le sable d’une plage ensoleillée. Renchaîné avec un oursin dont les pointes mobiles oscillent légèrement. Renchaîné avec la tête d’un autre jeune fille prise en plongée très violente et cernée par l’iris. L’iris s’ouvre et laisse, voir que cette jeune fille se trouve au milieu d’un groupe de personnes qui tentent de forcer un barrage d’ordre, établi par des agents.

Au centre du cercle, cette jeune fille essaye de ramasser, avec un bâton, une main coupée aux ongles colorés, qui se trouve à terre. Un des agents s’approche d’elle et la semonce vertement ; il se baisse et ramasse la main qu’il enveloppe soigneusement et qu’il met dans la boîte que portait le cycliste. Il remet le tout à la jeune fille qu’il salue militairement lorsqu’elle le remercie.

Il faut tenir compte qu’au moment où l’agent lui remet la boîte, elle est envahie par une émotion extraordinaire qui l’isole complètement de tout. Elle est comme subjuguée par les échos d’une musique religieuse et lointaine ; peut-être une musique entendue en sa plus tendre enfance.

Le public, sa curiosité satisfaite, commence à se disperser dans toutes les directions.

Cette scène aura été vue par les personnages que nous avons laissés dans la chambre du troisième étage. On les voit à travers les vitres du balcon d’où on peut voir la fin de la scène décrite ci-dessus. Quand l’agent remet la boîte à la jeune fille, les deux personnages du balcon paraissent eux aussi envahis par la même émotion qui en arrive jusqu’aux larmes. Leurs têtes se balancent comme si elles suivaient le rythme de cette musique impalpable.

Le personnage regarde la jeune fille lui faisant un geste qui semble dire : « As-tu vu ? Ne te l’avais-je pas dit ? ».

Elle regarde de nouveau, dans la rue, la jeune fille qui est seule maintenant, comme clouée sur place, en un état d’inhibition absolue. Des autos passent à des allures vertigineuses. Tout à coup l’un d’eux lui passe dessus en la mutilant affreusement.

Alors avec la décision d’un homme dans son plein droit, le personnage s’approche de sa compagne et après l’avoir regardée lascivement dans le blanc des yeux, il lui saisit les seins à travers le jersey. G. P. des mains lascives sur les seins. Ceux-ci émergent de dessous le jersey. On voit alors une terrible expression d’angoisse, presque mortelle, se refléter sur les traits du personnage. Une bave sanguinolente lui coule de la bouche sur la poitrine découverte de la jeune fille.

Les seins disparaissent pour se transformer en cuisses que le personnage continue de palper. L’expression de celui-ci a changé. Ses yeux brillent de méchanceté et de luxure. Sa bouche, grande ouverte se referme, minuscule, comme resserrée par un sphincter.

La jeune fille recule vers l’intérieur de la chambre, suivie par le personnage toujours dans la même attitude.

Subitement, elle a un geste énergique pour lui séparer les bras, se libérant ainsi du contact entreprenant.

La bouche du personnage se contracte de colère.

Elle se rend compte qu’une scène désagréable ou violente, va commencer. Elle recule, pas à pas, jusque dans un coin où elle se retranche derrière une petite table.

Geste de traître de mélodrame chez le personnage. Il regarde de tous côtés, cherchant quelque chose. A ses pieds, il voit un bout de corde et le ramasse de la main droite. Sa main