Page:La Révolution surréaliste, n12, 1929.djvu/8

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une région où, par définition, le surréalisme n’a pas d’oreille. On ne voudrait pas qu’il fût à la merci de l’humeur de tels ou tels hommes ; s’il déclare pouvoir, par ses méthodes propres, arracher la pensée à un servage toujours plus dur, la remettre sur la voie de la compréhension totale, la rendre à sa pureté originelle, c’est assez pour qu’on ne le juge que sur ce qu’il a fait et sur ce qui lui reste à faire pour tenir sa promesse.

Avant de procéder, toutefois, à la vérification de ces comptes, il importe de savoir à quelle sorte de vertus morales le surréalisme fait exactement appel puisque aussi bien il plonge ses racines dans la vie, et, non sans doute par hasard, dans la vie de ce temps, dès lors que je recharge cette vie d’anecdotes comme le ciel, le bruit d’une montre, le froid, un malaise, c’est-à-dire que je me reprends à en parler d’une manière vulgaire. Penser ces choses, tenir à un barreau quelconque de cette échelle dégradée, nul n’en est quitte, à moins d’avoir franchi la dernière étape de l’ascétisme. C’est même du bouillonnement écœurant de ces représentations vides de sens que naît et s’entretient le désir de passer outre à l’insuffisante, à l’absurde distinction du beau et du laid, du vrai et du faux, du bien et du mal. Et, comme c’est du degré de résistance que cette idée de choix rencontre que dépend l’envol plus ou moins sûr de l’esprit vers un monde enfin habitable, on conçoit que le surréalisme n’ait pas craint de se faire un dogme de la révolte absolue, de l’insoumission totale, du sabotage en règle, et qu’il n’attende encore rien que de la violence. L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. Qui n’a pas eu, au moins une fois, envie d’en finir de la sorte avec le petit système d’avilissement et de crétinisation en vigueur a sa place toute marquée dans cette foule, ventre à hauteur de canon. La légitimation d’un tel acte n’est, à mon sens, nullement incompatible avec la croyance en cette lueur que le surréalisme cherche à déceler au fond de nous. J’ai seulement voulu faire rentrer ici le désespoir humain, en deçà duquel rien ne saurait justifier cette croyance. Il est impossible de donner son assentiment à l’une et non à l’autre. Quiconque feindrait d’adopter cette croyance sans partager vraiment ce désespoir, aux yeux de ceux qui savent, ne tarderait pas à prendre figure ennemie. Cette disposition d’esprit que nous nommons surréaliste, et qu’on voit ainsi tout occupée d’elle-même, il paraît de moins en moins nécessaire de lui chercher des antécédents et, en ce qui me concerne, je ne m’oppose pas à ce que les chroniqueurs, judiciaires et autres, la tiennent pour spécifiquement moderne. J’ai plus confiance dans ce moment, actuel, de ma pensée que dans tout ce qu’on tentera de faire signifier à une œuvre achevée, à une vie humaine parvenue à son terme. Rien de plus stérile, en définitive, que cette perpétuelle interrogation des morts : Rimbaud s’est-il converti la veille de sa mort, peut-on trouver dans le testament de Lénine les éléments d’une condamnation de la politique présente de la IIIe Internationale, une disgrâce physique insupportée et toute personnelle a-t-elle été le grand ressort du pessimisme d’Alphonse Rabbe, Sade en pleine Convention a-t-il fait acte de contre-révolutionnaire ? Il suffit de laisser poser ces questions pour apprécier la fragilité du témoignage de ceux qui ne sont plus. Trop de fripons sont intéressés au succès de cette entreprise de détroussement spirituel pour que je les suive sur ce terrain. En matière de révolte, aucun de nous ne doit avoir besoin d’ancêtres (*). Si, par le surréalisme, nous rejetons sans hésitation l’idée de la seule possibilité des choses qui « sont » et si nous déclarons, nous, que par un chemin qui « est », que nous pouvons montrer et aider à suivre, on accède à ce qu’on prétendait qui « n’était pas », si nous ne trouvons pas assez de mots pour flétrir la bassesse de la pensée occidentale, si nous ne craignons pas d’entrer en insurrection contre la logique, si nous ne jurerions pas qu’un acte qu’on accomplit en rêve a moins de sens qu’un acte qu’on accomplit éveillé, si nous ne sommes même pas sûrs qu’on n’en finira pas un jour (j’écris en attendant : un jour, j’écris : en attendant), qu’on n’en finira pas avec le temps, vieille farce sinistre, train perpétuellement déraillant, pulsation folle, inextricable amas de bêtes crevantes et crevées, comment veut-on que nous manifestions quelque tendresse, que même nous usions de tolérance à l’égard d’un appareil de conservation sociale, quel qu’il soit ? Ce serait le seul délire vraiment inacceptable de notre part. Tout est à faire, tous les moyens doivent être bons à employer pour ruiner les idées de famille, de patrie, de religion. La position surréaliste a beau être, sous ce rapport, assez connue, encore faut-il qu’on sache qu’elle ne comporte pas d’accommodements. Ceux qui prennent, à tâche de la main-


(*) Je tiens à préciser que selon moi il faut se défier du culte des hommes, si grands apparemment soient-ils. Un seul à part : Lautréamont, je n’en vois pas qui n’aient laissé quelque trace équivoque de leur passage. Inutile de discuter encore sur Rimbaud : Rimbaud s’est trompé, Rimbaud a voulu nous tromper. Il est coupable devant nous d’avoir permis, de ne pas avoir rendu tout à fait impossibles certaines interprétations déshonorantes de sa pensée, genre Claudel. Tant pis aussi pour Baudelaire (« Ô Satan... ») et cette « règle éternelle » de sa vie : faire tous les matins ma prière à Dieu, réservoir de toute force et de toute justice, à mon père, à Marielle et à Poe, comme intercesseurs ». Le droit de se contredire, je sais, mais enfin ! A Dieu, à Poe ? Poe qui, dans les revues de police, est donné aujourd’hui à si juste titre pour le maître des policiers scientifiques (de Sherlock Holmes, en effet, à Paul Valéry...) N’est-ce pas une honte de présenter sous un jour intellectuellement séduisant un type de policier, toujours de policier, de doter le monde d’une méthode policière ? Crachons, en passant, sur Edgar Poe.