Page:La Révolution surréaliste, n12, 1929.djvu/9

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tenir persistent à mettre en avant cette négation, à faire bon marché de tout, autre critérium de valeur. Ils entendent jouir pleinement de la désolation si bien jouée qui accueille, dans le public bourgeois, toujours ignoblement prêt à leur pardonner quelques erreurs « de jeunesse », le besoin qui ne les quitte pas de rigoler comme des sauvages devant le drapeau français, de vomir leur dégoût à la face de chaque prêtre et de braquer sur l’engeance des « premiers devoirs » l’arme à longue portée du cynisme sexuel. Nous combattons sous toutes leurs formes l’indifférence poétique, la distraction d’art, la recherche érudite, la spéculation pure, nous ne voulons rien avoir de commun avec les petits ni avec les grands épargnants de l’esprit. Tous les lâchages, toutes les abdications, toutes les trahisons possibles ne nous empêcheront pas d’en finir avec ces foutaises. Il est remarquable, d’ailleurs, que, livrés à eux-mêmes et à eux seuls, les gens qui nous ont mis un jour dans la nécessité de nous passer d’eux ont aussitôt perdu pied, ont dû aussitôt recourir aux expédients les plus misérables pour rentrer en grâce auprès des défenseurs de l’ordre, tous grands partisans du nivellement par la tête. C’est que la fidélité sans défaillance aux engagements du surréalisme suppose un désintéressement, un mépris du risque, un refus de composition dont très peu d’hommes se révèlent, à la longue, capables. N’en resterait-il aucun, de tous ceux qui les premiers ont mesuré à lui leur chance de signification et leur désir de vérité, que cependant le surréalisme vivrait. De toute manière il est trop tard pour que la graine n’en germe pas à l’infini dans le champ humain, avec la peur et avec les autres variétés d’herbes folles qui doivent avoir raison de tout. C’est même pourquoi je m’étais promis, comme en témoigne la préface à la réédition du Manifeste du Surréalisme (1929) d’abandonner silencieusement à leur triste sort un certain nombre d’individus qui me paraissaient s’être rendu suffisamment justice : c’était le cas de MM. Artaud, Carrive, Delteil, Gérard, Limbour, Masson, Soupault et Vitrac, nommés dans le Manifeste (1924) et de quelques autres depuis. Le premier de ces messieurs ayant eu l’imprudence de s’en plaindre, je crois bon, à ce sujet, de revenir sur mes intentions :

« Il y a, écrit M. Artaud à l'Intransigeant, le 10 septembre 1929, il y a dans le compte rendu du Manifeste du Surréalisme paru dans l’Intran du 24 août dernier, une phrase qui réveille trop de choses : « M. Breton n’a pas cru devoir faire dans celle réédition de son livre des corrections — surtout de noms — et c’est tout à son honneur, mais les rectifications se font d’elles-mêmes. » Que M. Breton fasse appel à l’honneur pour juger un certain nombre de personnes auxquelles s’appliquent les rectifications ci-dessus, c’est affaire à une morale de secte, dont seule une minorité littéraire était jusqu’ici infectée. Mais il faut laisser aux surréalistes ces jeux de petits papiers. D’ailleurs, tout ce qui a trempé dans l’affaire du « Songe » il y a un an, est mal venu a parler d’honneur. »

Je n’aurai garde de débattre avec le signataire de cette lettre le sens très précis que j’accorde au mot : honneur. Qu’un acteur, dans un but de lucre et de gloriole, entreprenne de mettre luxueusement en scène une pièce du vague Strindberg à laquelle il n’attache lui-même aucune importance, bien entendu je n’y verrais pas d’inconvénient particulier si cet acteur ne s’était donné de temps à autre pour un homme de pensée, de colère et de sang, n’était le même que celui qui, dans telles et telles pages de la Révolution Surréaliste brûlait, à l’en croire, de tout brûler, prétendait ne rien attendre que de « ce cri de l’esprit qui retourne vers lui-même bien décidé à broyer désespérément ses entraves ». Hélas ! ce n’était là pour lui qu’un rôle comme un autre ; il « montait » Le Songe de Strindberg, ayant ouï dire que l’ambassade de Suède paierait (M. Artaud sait que je puis en faire la preuve), il ne lui échappait pas que cela jugeait la valeur morale de son entreprise, n’importe. C’est M. Artaud, que je reverrai toujours encadré de deux flics, à la porte du théâtre Alfred Jarry, en lançant vingt autres sur les seuls amis qu’ils se reconnaissait encore la veille, ayant négocié préalablement au commissariat leur arrestation, c’est naturellement M. Artaud qui me trouve mal venu à parler d’honneur.

Nous avons pu constater, Aragon et moi, par l’accueil fait à notre collaboration critique au numéro spécial de Variétés : « Le surréalisme en 1929 », que le peu d’embarras que nous éprouvons à apprécier, au jour le jour, le degré de qualification morale des personnes, que l’aisance avec laquelle le surréalisme se flatte de remercier, à la première compromission, celle-ci ou celle-là, est moins que jamais du goût de quelques voyous de presse, pour qui la dignité de l’homme est tout au plus matière à ricanements. A-t-on idée, n’est-ce pas, d’en demander tant aux gens dans le domaine, à quelques exceptions romantiques près, suicides et autres, jusqu’ici le moins surveillé ! Pourquoi continuerions-nous à faire les dégoûtés ? Un policier, quelques viveurs, deux ou trois maquereaux de plume, plusieurs déséquilibrés, un crétin, auxquels nul ne s’opposerait à ce que viennent se joindre un petit nombre d’être sensés, durs et probes, qu’on qualifierait d’énergumènes, ne voilà-t-il pas de quoi constituer une équipe amusante, inoffensive, tout à fait à l’image de la vie, une équipe d’hommes payés aux pièces, gagnant aux points ?

MERDE.


La confiance du surréalisme ne peut être bien ou mal placée, pour la seule raison qu’elle n’est pas placée. Ni dans le monde sensible, ni sensiblement en dehors de ce monde, ni dans la pérennité des associations mentales qui recommandent notre existence d’une exigence naturelle ou d’un caprice supérieur, ni dans l’intérêt que peut avoir l' « esprit » à se