Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/258

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couleur, sorte de gentilhomme campagnard, qui, dans cet orage de projectiles, s’écriait : « Dire que je suis venu à Paris pour m’amuser ! » Il reçut enfin une balle dans le mollet. L’heure, — cinq ou six heures du soir. La barricade, intenable, avait été évacuée. Les feux de la caserne occupée par les soldats enfilaient le boulevard. D’un balcon nous répondions. Physionomies diverses, parmi lesquelles je revois Johannard dans un état d’exaspération folle.

— Le jour suivant ?

— Le soir du jour suivant, revenant de je ne sais où et remontant à Belle ville, Jourde, Lissagaray, l’étudiant en médecine Dubois et moi, nous rencontrons une bande de gardes nationaux. L’un d’eux, le fils Carria, nous dit : « Nous allons relever les gendarmes. » Je crois qu’il faisait allusion à des gendarmes parisiens du quartier de la Roquette. Peu après, au quartier du lac Saint-Fargeau, nous dînions au Lapin vengeur, quand nous entendîmes des coups de fusil. Ce fut pour moi une illumination : « Nom de Dieu ! ce sont les gendarmes qu’on fusille ! » L’hôtelière entra avec, à la main, un plat de lapin où tombaient ses larmes. Je ne m’étais pas trompé, — les otages. Nous étions à deux pas de la rue Haxo.

— Les membres de la Commune ont-ils pris part personnellement à la défense des barricades une fois l’Hôtel de Ville évacué ?

— Presque tous, et c’est là un fait unique dans l’histoire des gouvernements. Ils donnaient l’exemple de l’intrépidité, et, autour d’eux, on n’avait pas besoin de cet exemple. Quelle génération !

— Comment ces combattants de la dernière heure ont-ils pu se tirer des mains des Versaillais ?

— Pendant la bataille il était relativement facile de partir, mais ensuite les issues de chaque arrondissement étaient gardées par la troupe et quand on se présentait il fallait subir un interrogatoire. Après des péripéties et des alertes, Lissagaray et moi pûmes sortir du xie arrondissement, grâce à l’ingéniosité d’une hôtelière, plantureuse et joviale dondon. Le soir même nous demandâmes l’hospitalité à Suzanne Lagier qui nous la refusa. Nous dûmes chercher ailleurs. Durant quelques jours nous allâmes de gîte en gîte, puis Lissagaray put quitter Paris. Quant à moi je fus pris quinze jours après, dénoncé par une concierge. J’appris depuis qu’elle avait été condamnée par le conseil de guerre pour avoir livré des Versaillais, au temps de la Commune.

— Croyez-vous que la Commune ait eu pour résultat le maintien de la République ?

— Oui, car après l’exécution de la Commune, la période propice à l’exécution de la République était déjà passée.

— Au Père Duchêne était-on favorable à la majorité où à la minorité de la Commune ?

— Vermersch à la majorité, Vuillaume et moi plutôt à la minorité[1]. Celle-ci comprenait les hommes les plus intelligents. Mais,

  1. M. Vuillaume nous dit que Vermersch et lui étaient hostiles à la minorité.