Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/305

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M. Edmond Bailly
actuellement éditeur (Librairie de l’Art Indépendant).

Le 18 mars me surprit simple volontaire au 214e bataillon de marche, l’un de ceux composant le régiment commandé par Rochebrune, mort, comme vous savez, à Buzenval. Le rôle qui m’incomba fut donc celui de combattant ; je m’abstins, même, de toute visite à Léo Fraenkel, un bon camarade que la Commune avait fait ministre et que je retrouvais, plus tard, à Londres où il avait repris son délicat métier d’orpailleur. Des souvenirs personnels, sur cette douloureuse époque, il m’en est resté de quoi faire un livre. J’appuirai seulement sur ce que j’ai vu de très près, sur ce qui est là, sous mon front, comme une ineffaçable page rouge.

La guerre avait passé, vision chimérique ; l’étranger nous guettait des hauteurs de nos forts livrés ; la ville meurtrie, avec son cœur béant et ses rues ensaignées, flammait insulteuse au vainqueur. Adossé au tombeau du duc de Morny, d’un point culminant où les artilleurs de la Commune avaient installé à la hâte quelques pièces dont le tir continu ajoutait, encore, à l’effet inimaginable du tableau, je contemplais. Là-bas, sur la gauche, c’est Bercy, ce sont les Magasins Généraux, c’est l’Hôtel de Ville, qu’un manteau de flammes enveloppe ; voici les Tuileries, le Palais-Royal, la Légion d’Honneur, le Conseil d’État, la Cour des Comptes que le feu lèche, caresse, enlace déjà. Les flammes s’étrécissent, s’allongent, serpentent, montent vers le ciel sombre, puis, soudain, retombent en larges plaques où les ors, où la pourpre, où les joyaux flamboient, pour s’élancer encore insolentes et railleuses. On dirait d’un immense foyer, où le peuple, alchimiste moderne, a jeté sceptres et couronnes, hermines et manteaux royaux, certain d’en voir sortir un jour sa pierre philosophale, hélas ! la Liberté. Devant tout cet éclaboussement de lumière sur les impassibles ténèbres, je songe…


DOMBROWSKI
Hier, avant-hier peut-être, que sais-je, enfin, dans la monotonie des jours, j’ai vu, dormant son sommeil éternel, un des plus vaillants chefs militaires de la revendication sociale. Blond, petit, les traits fins et réguliers, la physionomie douce et calme dans la mort, le ventre troué par une balle versaillaise, Dombrowski gît étendu sur une civière en attendant l’inhumation qui va le dérober, pour l’instant, du moins, à la haine de ses vainqueurs. Le hasard a conduit mes pas vers l’entrée du cimetière, j’ai suivi les groupes et mes yeux cherchent l’au-delà sur la face éteinte du général polonais. Il y a longtemps que je suis là, sans doute, à regarder, immobile autant que le cadavre ; quelqu’un me touche l’épaule, je sors de ma torpeur, je m’étonne, je questionne du geste au milieu du glacial