Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/172

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on devient peuple, troupeau, femme, pharisien, bétail volant, idiot — wagnérien.

« Là, la conscience la plus personnelle est vaincue par le maléfice niveleur du plus grand nombre, là, c’est le voisin qui règne, là on devient le voisin. »

Wagner considéré comme un danger

Le but poursuivi par la nouvelle musique et caractérisé avec une expression tres forte, mais très obscure, « une mélodie sans fin », peut s’expliquer ainsi : on va dans la mer, on perd pied, et finalement on s’abandonne à la merci de l’élément : il faut nager. La vieille musique recherchait tout autre chose, dans une cadence aimable ou solennelle ou ardente, dans un mouvement plus lent ou plus rapide, elle conviait à la danse. La mesure qui y était nécessaire, le fait d’observer exactement des degrés déterminés également cadencés de temps et de force, contraignait l’âme de l’auditeur à une réflexion continue. C’est sur les jeux opposés de ce courant d’air plus frais provenant de la réflexion et du souffle surchauffé de l’enthousiasme que reposait le charme de toute bonne musique. Richard Wagner voulut créer une autre sorte d’émotion. Il renverse l’hypothèse physiologique de la musique jusqu’ici existante. Nager, planer, — non plus marcher, danser… Peut-être le mot définitif a-t-il été dit ainsi ? La « mélodie infinie » veut briser toute mesure de temps et de force, et même elle s’en moque de temps à autre, — elle trouve la richesse de son invention précisément dans ce qui, pour une oreille d’un autre âge, sonne comme un paradoxe du rythme et comme un blasphème. De l’imitation, de la prépondérance d’un tel goût résulterait pour la musique un danger tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand, — la dégénérescence complète du sentiment du rythme, le chaos à la place du rythme. Le danger devient tout à fait aigu quand une telle musique s’appuie toujours plus étroitement sur un art théâtral et une mimique absolument naturaliste et que ne régit aucune loi de la plastique, recherchant l’effet et rien de plus… Cet espressivo à tout prix, et la musique, servante et esclave de l’attitude, — c’est la fin.

Comment ! serait-ce là la première vertu de l’exécution, comme les musiciens exécutants paraissent le croire maintenant, qu’il faille avant tout atteindre un haut relief[1] qui ne puisse plus être dépassé !

Appliquer cela à Mozart, n’est-ce pas le plus grand péché contre l’esprit de Mozart, cet esprit clair et enthousiaste, tendre et amoureux qui, par bonheur, n’était pas allemand et dont le sérieux est un sérieux bienveillant et doré et non le sérieux d’un bon bourgeois allemand… bien moins encore celui du « convive de pierre », — mais vous pensez que toute musique est musique du « convive de pierre », —

  1. En français dans le texte.