Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/259

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le travail mercenaire, uniforme, monotone, quand donc sonnera le clairon : tout le monde en bas ! On libère tous aujourd’hui !

Est-ce qu’il serait de toutes les utopies des hommes comme du ciel où les martyrs croyaient monter, et qui faisait seulement leur mort un peu plus douce ?

Le rêve empoisonne cette vie, il ne l’adoucit pas. Espère ! un jour, les hommes…

Mais ce n’est pas un jour, c’est tout de suite, dans ma vie, que je veux vivre !

Vis donc ! Essaye ! Telle qu’elle est, prends la vie. Il y en a qui peuvent.

Il suffit d’être l’Amant ; vois cette belle fille qui passe.

III

— Citoyens, nous avons beaucoup souffert…

Et nous donc ! ô vieillard, nous naissons à la vie. Honte, défaite, déchéance, désillusion, misère… C’est là ton legs ; tu l’as mis de force sur nos épaules ; sans pitié ; elles étaient si frêles.. ! Tu étais fort d’avoir aux grands jours de révolte, vu, dit-on, la justice apparaître au milieu des combats, excitant le peuple, et, ô miracle ! ne fût-ce qu’une heure ! tu as vu la bonne cause triompher et les âmes s’unir d’une joie commune, et ce rêve social : le bonheur en commun, réalisé en l’heure d’ivresse d’une victoire.

Mais nous n’avons rien vu. Nos âmes emprisonnées, mornes, se débattent. Tu dis qu’il y a une Terre promise. Mais cette Société nous serre comme un cachot. Tu dis qu’il y a une Terre promise. Mais nous n’irons jamais. Vois nos chaînes, notre fatigue. Tu dis… Si du moins nous étions sûrs de ce que tu dis !

Mais il faut croire, il nous faut croire sans miracle.

O vieillard !

La Terre Promise !

Toi qui fus aux sommets d’où on l’apercevait, parle-nous d’elle, dis-nous son nom, sa couleur. Quelle route vers elle ? Nous y montions par le chemin à pic des batailles. On retombait, déchiré, meurtri ; et c’était de même. Du moins on l’avait vue ; et l’on recommençait. Depuis que nous avons pris la grand’route des plaines, nous l’avons perdue de vue, ne savons où nous allons !

Oh ! quelle odeur, dis-moi, ça avait-il, la poudre ? Quel bruit, la fusillade ? Et le canon chantait ! Les barricades, le drapeau rouge… Ah ! quand donc nous aussi, comme nos pères héros levant les pierres des rues… — O voyageur, parle-moi des pays d’où tu viens ! Montre-moi… Ne nous as-tu rien rapporté ?